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l’intervention française termina au bénéfice de la Grèce ; nous remontions vers l’antiquité et nous nous y plongions. Nous allions à Marathon, à Eleusis, à Phalère, à Patissia ; la course, chaque fois, fut faite en une journée, mais notre tournée en Phocide et en Béotie exigea dix jours, qui ne furent point mal employés. Nous allions, évoquant les grands souvenirs des choses d’autrefois, souvenirs dont nous ne retrouvions trace que dans notre mémoire, car la terre même où elles se sont accomplies n’en a pas gardé vestige. Trop d’invasions, trop de barbares ont passé là, il ne reste plus rien ; s’il subsiste une ruine, elle est muette, A Leuctres, à Platée, à Chéronée, où Philippe ivre et victorieux parcourut le champ de bataille en se raillant de Démosthènes, quelques pierres n’ont pas encore disparu. A Castri, nous avons interrogé l’oracle de Delphes ; à Livadia, penchés au-dessus de l’antre, nous avons appelé Trophonius : nul n’a répondu. La Grèce est dans nos arts, dans nos mœurs, dans notre philosophie, dans notre entendement, dans notre poésie, dans notre éloquence; elle est dans toute civilisation, mais elle n’est plus en Grèce; son âme est devenue l’âme du genre humain. Si la Grèce et le christianisme n’avaient été, le monde serait peut-être encore à l’état sauvage, à l’âge de pierre de l’intelligence.

L’œuvre des hommes s’est émiettée sous les doigts du temps, mais la nature est restée la même ; la montagne, le défilé, la mer, le fleuve, sont toujours là, éternels témoins qui racontent. L’endroit où le haut fait s’est produit ne s’est pas modifié. Si Léonidas et les trois cents revenaient aux Thermopyles, ils les retrouveraient ce qu’elles étaient en l’an 480 avant Jésus-Christ. Nous nous y sommes assis, nous y avons déjeuné d’un cuissot de chèvre, nous y avons baigné nos mains dans la source chaude que Minerve fit jaillir pour désaltérer Hercule fatigué de sa lutte avec Antée[1]. Le mont OEta poussait son éperon jusque dans le golfe Maliaque, à peine ridé par les brises du matin. Il faisait froid, et l’eau des sources sacrées, des sources héroïques, fumait en faisant tourner la roue d’un moulin. Il faut applaudir au progrès partout où il se manifeste, mais j’avoue que le moulin des Thermopyles m’a choqué comme une profanation. Auprès, il y a une sorte de tumulus qu’on ne manque pas de donner pour le tombeau de Léonidas; point; c’est le terrassement d’une redoute élevée pendant la guerre d’indépendance. Nous sommes restés là longtemps, écrasant sous nos pieds la croûte de cristallisation jaunâtre qui est le dépôt des sources thermales ; nous avons relu le récit de Plutarque. C’est là-haut, sur cette colline où les arbousiers et les lentisques sont

  1. J’ai ramassé des cristaux pris au bord de la source chaude et voici le résultat de l’analyse que j’ai fait faire à Paris : carbonate de chaux, 94,50 ; carbonate de magnésie, 1,75; sulfate de chaux, 1,15 ; matières organiques, 0,94; sable et eau, 1,23.