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Vous pouvez le garder, pourvu que vous me disiez dans votre première lettre que le roi a été content du présent qu’on lui a fait. Au reste, cet oiseau ne vaut rien à manger, tout au plus en pâté froid[1]. » — Et pour ne pas sortir des détails de cuisine, de Sade donnait quelques jours après cette preuve éclatante de la haute faveur qu’il avait su conquérir. « Mon cuisinier, écrivait-il, travaille quelquefois pour l’électeur. L’électeur mange volontiers de ce qu’il fait et annonce les plats qu’il a faits. Quand l’électeur en a pris, ils font le tour de la table. Tant que M. de Colloredo a été ici, aucun de son parti n’a osé en manger; à présent, ils en mangent tous et les louent. » « L’électeur, ajoutait-il encore quelque temps après, ne met plus de bornes à sa confiance. Il y a huit ou dix jours que le grand écuyer lui demanda comment il faudrait donner des perruques à son cocher pour son entrée à Francfort. Selon sa coutume, il a répondu : « Demandez au comte de Sade. » Le grand écuyer est sorti en disant « Que le comte de Sade et les perruques aillent à tous les diables[2]! »

Mayence était un théâtre plus important que Trêves et Cologne. L’archevêque était investi de la dignité d’archichancelier d’Allemagne et de doyen du corps électoral. En cette qualité, il était chargé de convoquer et de présider la diète, ce qui lui donnait la facilité de fixer la date de la réunion au moment qu’il pouvait juger propre pour les vues qu’il désirait favoriser; de plus, c’était à lui, dans le cas présent, à résoudre, au moins par une décision provisoire, une question très délicate qu’on commençait à soulever. La maison d’Autriche ne jouissait d’autre droit électoral que celui qui était attaché à la couronne de Bohême. En reconnaître l’exercice à Marie-Thérèse, c’était donc trancher d’avance le débat élevé entre elle et l’électeur de Bavière, et la princesse avait compliqué elle-même la difficulté en transférant son droit litigieux à son époux, en même temps qu’elle lui donnait la régence de ses états. Quelle valeur avait cette délégation, et la voix de Bohême représentée par le grand-duc de Toscane serait-elle comptée au même titre que les autres dans le nombre des suffrages? En l’appelant ou en l’écartant, le jour de l’ouverture de la diète, l’électeur de Mayence préjugeait la question par un avis qui, sans être définitif, aurait un poids considérable. Aussi, là encore, plus qu’à Cologne, Colloredo s’était pressé de prendre les devans, et Belle-Isle trouvait la place déjà gardée ; un instant même, il put craindre qu’on ne voulût pas le recevoir. L’audace eût été trop grande, et le soupçon n’était pas fondé. L’électeur, au contraire, en recevant des mains du résident de France la

  1. De Sade à Amelot, 3, 18 avril 1741. (Correspondance de Cologne. Ministère des affaires étrangères.)
  2. De Sade à Amelot, 15 juin, 5 décembre 1741. (Correspondance de Cologne. Ministère des affaires étrangères.)