Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en France, en Belgique, en Italie, en Suisse. Ces causes ont pu agir, en effet, mais elles n’ont été qu’occasionnelles; la cause principale, celle qui dominait tout et qui dispensait d’en chercher d’autre parce qu’elle suffisait à elle seule, c’était l’éloignement du public pour le métal blanc. Il n’y avait que deux questions à se poser. L’argent, aujourd’hui, est-il pris avec la même faveur qu’autrefois? Évidemment non. L’or, qui l’a remplacé dans la circulation, ne convient-il pas mieux aux goûts et aux besoins des peuples modernes et surtout des pays riches? Certainement si. Cela étant, que peut-on faire? Au lieu d’aborder ces questions de front, comme on aurait dû le faire, on s’est plu à dire que tout le mal venait de ceux qui avaient trop vanté les avantages de la monnaie d’or; ce sont les économistes surtout, a-t-on ajouté, qui ont faussé l’opinion publique; il faut la redresser au moyen d’un accord universel. Si toutes les nations conviennent que l’argent vaut toujours ce qu’il valait autrefois, qu’il sera frappé librement partout sur le pied de son ancien rapport de 15 1/2 à 1, le problème sera résolu. Et alors on a vu une discussion plus ou moins subtile pour établir que c’était la loi qui, après tout, fixe la valeur des métaux précieux, et si on disait que c’était là un acte tout à fait arbitraire de la part du législateur, on répondait que toute loi est arbitraire, ne représentant jamais l’équité absolue, et que cependant on est tenu de s’y soumettre. Enfin, à entendre cette discussion, on se serait cru en plein moyen âge, à l’époque où les souverains besogneux diminuaient le poids ou le titre de leurs monnaies et avaient la prétention de leur conserver la même valeur, en vertu de ce principe que la monnaie émanait d’eux et que c’était à eux d’en déterminer le prix. A quels excès de discussion on arrive quand on part de principes faux et qu’on veut faire violence à la force des choses!

On n’était pas embarrassé davantage pour répondre à ceux qui disaient que la monnaie d’or est aujourd’hui la monnaie des peuples civilisés. On demandait si Aristote et Platon, qui ne se servaient que d’argent, ne vivaient pas dans un pays civilisé, et si l’Allemagne de Goethe et de Schiller, qui ne connaissait que le métal blanc, ne valait pas celle de MM. Bamberger et Soetbeer, qui préconisent l’emploi de l’or. On s’étonne que la conférence se soit amusée à de pareilles futilités. Quand on parle de civilisation à propos de l’usage des métaux précieux, il est bien évident qu’il n’est pas question de la civilisation représentée par ses grands hommes, ses grands philosophes et ses grands poètes, mais de la civilisation qui naît du développement général de la richesse, du perfectionnement des voies de communication, de la multiplicité des transactions, et qui a besoin que les moyens d’échange soient en rapport avec ces progrès. Aristote et Platon étaient de grands hommes assurément et représentaient en leurs personnes