Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlementaires qui vont s’ouvrir. La situation est, certes, curieuse à observer, et elle est surtout étrange par le genre de difficultés que M. le président du conseil est arrivé si vite à se créer, par la nature de l’opposition qu’il rencontre, par les incohérences de partis qui se dévoilent, par les conséquences que peut avoir le dénoûment, quel qu’il soit, des prochaines luttes du parlement.

Cette situation difficile et extrême qui apparaît aujourd’hui, c’est assurément M. le président du conseil qui a le premier contribué à la créer et qui n’a pas tardé à l’aggraver par son humeur dominatrice, par ses habitudes de prépotence personnelle. La première faute de M. Gambetta a été dans la manière dont il a formé son cabinet, et s’il a composé son cabinet comme il l’a fait, c’est qu’il a cru manifestement que sa présence au pouvoir, son nom, son importance, répondaient à tout. Il était président du conseil, le reste importait peu, ce n’était plus qu’un détail insignifiant. Il s’est passé la fantaisie de satisfaire des amitiés, de multiplier les ministères en déplaçant les services, de donner la marine à M. Gougeard, les finances à M. Allain-Targé, qui plie sous le fardeau, les cultes à un ennemi de tous les cultes, M. Paul Bert, qui a entrepris de compléter le concordat en le détruisant. C’était montrer du premier coup la plus singulière défaillance de sens politique. M. le président du conseil, il est vrai, a cru rétablir un certain équilibre et rehausser son gouvernement en allant chercher dans tous les camps des hommes de mérite pour les plus hautes fonctions. Il n’a pas craint d’appeler M. le général de Miribel au poste de chef d’état-major de l’armée, d’envoyer M. de Chaudordy comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg, de placer M. Weiss à la direction politique des affaires étrangères, et il y avait certes quelque courage dans ces choix. Si cette distribution des fonctions de l’état eût été le résultat d’une politique pratiquée avec suite, avec une impartiale élévation d’esprit, elle aurait eu, sans nul doute, une sérieuse et rassurante signification. Malheureusement, il est trop clair que ce n’était là encore qu’une fantaisie, et M. le président du conseil en est bientôt arrivé à ne contenter personne. Il n’a sûrement pas désintéressé les esprits libéraux qui auraient pu être satisfaits de le voir suivre une politique d’intelligente impartialité, et il n’a réussi qu’à indisposer, à irriter nombre de ses amis qui, pour le coup, se sont crus positivement trahis en voyant des fonctions dérobées aux républicains.

Ce n’est pas tout, et ce n’est même pas la faute la plus sérieuse de M. le président du conseil. L’erreur la plus grave de M. Gambetta a été de croire qu’il pouvait sans danger porter au gouvernement les idées, les procédés, la politique du chef d’opposition, qu’il n’avait qu’à parler pour faire accepter notamment et la réforme du sénat et le rétablissement du scrutin de liste, et tout ce qu’il avait inscrit dans ses programmes. Il n’a pas eu le courage de reconnaître que ce qu’il avait