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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/475

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de mieux à faire pour le moment, c’était de gouverner le mieux possible, de ne rien précipiter et d’attendre tout au moins les élections sénatoriales qui allaient s’accomplir. Il s’est cru engagé, et il a voulu marcher quand même. Qu’est-il arrivé? Les élections se sont faites, et la révision, que rien ne nécessitait avant le 8 janvier, paraît plus que jamais sans objet aujourd’hui; elle n’est qu’une fantaisie de plus. M. Gambetta se donne l’air de vouloir réformer le sénat au moment même où le jeu naturel des institutions lui donne une majorité au Luxembourg et atteste l’inutilité de la révision. Avec le scrutin de liste qu’il veut à tout prix inscrire dans la constitution, il semble, d’un autre côté, se préparer une arme, suspendre la menace d’une dissolution éventuelle sur une chambre des députés qui a été élue par le scrutin d’arrondissement, qui est à peine née d’hier et qui n’a pas envie de mourir. Ses réformes, que rien ne motivait, ni un intérêt public, ni même un intérêt de parti bien entendu, ne sont point des réformes: ce sont des changemens inutiles ou peut-être dangereux, imaginés, suggérés par l’esprit de mobilité bien plus que par un esprit sérieusement politique. M. le président du conseil, en tout cela, n’a point agi en homme de gouvernement; il est resté un chef d’opposition, un agitateur marchant à l’aventure sans s’inquiéter de la réalité des choses, allant sans le vouloir et sans y songer au-devant de ces résistances, de ces difficultés qu’il voit s’élever autour de lui, qui deviennent aujourd’hui un de ses embarras et une de ses faiblesses.

Oui sans doute, depuis deux mois, M. Gambetta a passablement gaspillé sa fortune ministérielle et son crédit par ce qu’il a fait ou par ce qu’il n’a pas fait. Il n’a pas été l’homme de gouvernement qu’on attendait; il s’est montré à la fois présomptueux et indécis. Il a imprudemment soulevé des problèmes qu’il pouvait se dispenser de remuer et qu’il n’est pas sûr de résoudre avec avantage. Loin d’étendre son influence, il a fini au contraire par exciter une certaine impatience un peu dans tous les camps. On ne sait plus quelle est sa politique, on ne sait pas où il va et où il nous conduit, — c’est le mot répété tous les jours. Soit, M. Gambetta a jusqu’ici médiocrement usé du pouvoir; mais enfin, il faut être juste, il n’est pas le seul auteur de l’état présent des choses, de cette sorte de crise indéfinissable où l’on se débat aujourd’hui, et, pour des spectateurs désintéressés, les lamentations des républicains qui accusent maintenant leur chef, qui menacent de se tourner contre lui, sont tout au moins curieuses. Qu’on parle sans détour ; pour ces adversaires d’un nouveau genre, le crime du chef du cabinet est justement peut-être ce qu’il a fait de mieux. Ce qu’on ne peut lui pardonner, c’est d’avoir eu le courage de se dégager pour un moment des préjugés exclusifs de parti et d’avoir osé choisir pour de grandes positions des hommes réputés suspects. Voilà le terrible grief ! C’est depuis cette nomination de M. de Miribel, de M. de Chaudordy, de