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la condition d’aller vite en besogne. Le moindre délai pouvait être fatal : la saison était avancée, et sous ce ciel du Nord, les premières rigueurs de l’hiver pouvaient rendre toute opération impossible ; de plus, les forces autrichiennes se concentraient rapidement en Moravie, où Neipperg, rendu à la liberté, avait fait sa jonction avec un corps d’armée recruté à la hâte, dans lequel figuraient déjà des contingens hongrois, et que commandait le grand duc lui-même. Si cette armée de secours arrivait sur les derrières des assiégeans avant que la ville eût ouvert ses portes, tout était remis en question. Les jours, les heures, les minutes même étaient précieuses. Comment attendre du caractère irrésolu de l’électeur la précision et la promptitude nécessaires pour agir à temps et arriver à point nommé ? Belle-Isle sentit qu’il ne pouvait s’en fier qu’à lui-même et il résolut de quitter Francfort pour se rendre de sa personne à l’armée[1].

C’était à quoi Fleury ne cessait de le pousser par une correspondance pressante, et ce que réclamaient à grands cris tous les généraux et les officiers de l’armée française, qui l’invoquaient comme un sauveur. Ce n’en était pas moins un très grand parti que de s’éloigner au moment même où l’archevêque de Mayence, dans une intention peut-être suspecte, venait de fixer l’ouverture de la diète aux premiers jours de décembre. Mais de deux inconvéniens (conséquences du double rôle qu’il avait eu le tort d’assumer) il fallait choisir le moindre, et d’ailleurs un de ces momens était venu où c’est le sort des armes qui décide même de la volonté des hommes. Ce n’était plus au fond de l’urne électorale, c’était sur les remparts de Prague que Charles-Albert pouvait trouver sa couronne impériale.

Belle-Isle se mit en route le 12 novembre, comptant passer par Dresde pour raffermir la volonté toujours chancelante du roi de Pologne, dont les troupes devaient apporter aux françaises, dans les opérations du siège, un concours indispensable. Malheureusement sa résolution était tardive. Le prodigieux travail auquel il se livrait depuis un an, les fatigues, les tracas, les inquiétudes de tout genre, les nuits passées dans des veillées laborieuses, avaient épuisé sa constitution, qui n’avait jamais été très forte. Le jour du départ, une forte douleur sciatique lui rendait déjà très difficile de monter en carrosse ; sur la route le mal s’aggrava ; et à son arrivée, quand Valori, qui était venu l’attendre à Dresde, le reçut sur les marches du palais d’Hubertsbourg, il recula avec une douloureuse surprise. Le maréchal était méconnaissable; à peine si de cruelles douleurs lui permettaient

  1. Belle-Isle à Breteuil, ministre de la guerre. 22 novembre 1741. (Ministère de la guerre.)