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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/596

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contre des règlemens tyranniques, nous pouvions encore nous intéresser à sa tactique et pardonner, pour ainsi dire, son impudence à son esprit. Mais dénoncer à la police le libraire auquel il a lui-même fait parvenir le manuscrit, l’accuser de chantage, adresser des plaintes à M. de Seynas, à M. de Choiseul, au chancelier de Lamoignon, — car il semble éviter maintenant de se commettre directement avec Malesherbes, — jouer en un mot avec la fortune, avec l’honneur, avec la liberté d’un Rigollet et d’un Bardin, je ne sais si ce sont à ses yeux façons de « gentilhomme ordinaire du roi; » ce sont, du moins, aux yeux de la morale même la plus indulgente, façons dont il vaut mieux ne rien dire que les qualifier trop faiblement.

Aussi bien, sur quoi je veux attirer ici l’attention, ce n’est pas tant le procédé de Voltaire : c’est l’empressement avec lequel un lieutenant de police, après en avoir référé pour la forme à l’intendant de Lyon, satisfait au désir de Voltaire. M. de Seynas et M. de la Michodière savent parfaitement à quoi s’en tenir ; — cependant ils font l’enquête Elle n’est pas plus tôt commencée, qu’ils acquièrent les preuves que Rigollet a reçu de Ferney le manuscrit des Dialogues chrétiens ; — cependant, ils continuent d’agir. A mesure qu’ils avancent, ils s’aperçoivent que, si Voltaire demande la suppression de l’Épitre du diable, c’est pour les dépister, et que ce qui lui tient au cœur, c’est de rentrer en possession du manuscrit de ses Dialogues ; — cependant, ils font fouiller la boutique de Rigollet et dressent un procès-verbal de saisie. Alors, et alors seulement, on informe Malesherbes, qui répond à M. de Seynas a qu’il a bien fait de se rendre aux désirs de Voltaire, et de faire les recherches qu’il souhaitait. » Et il ajoute ces mots : « Je vous avouerai que je voudrais pour l’honneur d’un si grand homme qu’il fût plus modéré dans ce qu’il écrit contre ses ennemis ou moins ardent dans la poursuite de ceux qui écrivent contre lui. » Sentez-vous comme le ton a changé depuis 1754? C’est avec le respect involontaire que les grandes réputations imposent, et quel que soit le vilain personnage qu’elles recouvrent, que Malesherbes parle maintenant de Voltaire. En effet, comme nous l’avons dit, nous sommes en 1760 ; on a joué la grosse partie du siècle, et ce sont les philosophes décidément qui l’ont gagnée. La gloire ou le reproche, comme on le voudra prendre, en revient pour une part à Voltaire et pour une part à Rousseau, mais peut-être pour la principale aux ouvriers de l’Encyclopédie.

Nous n’abordons pas encore l’histoire de l’Encyclopédie, mais nous pouvons bien dire, dès à présent, comme il est faux de croire que l’entreprise ait rencontré dans ses commencemens le moindre obstacle de la part du gouvernement. Cette preuve suffira qu’en