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lettre... Le roi de Prusse m’écrit à peu près dans les mêmes tenues qu’à vous, mais on pourrait dire de lui ce qu’un ministre étranger répondit, après avoir va l’Escurial, que la magnificence du bâtiment était un témoignage de l’extrême peur qu’avait eue Philippe II lorsqu’il fit vœu de le construire. Les louanges du roi de Prusse sont fondées sur le même motif, et je vous avoue qu’elles me touchent peu. Il vous rend justice et tous les princes d’Allemagne vous la rendent aussi. J’accepte vos augures flatteurs, plus encore parce que vous êtes en état de les vérifier que pour toute autre raison. »

Ce qui contribuait peut-être à modérer la confiance de Fleury dans les éloges de Frédéric, c’est qu’au même moment des bruits tout contraires circulaient dans Paris. Des correspondances venues du camp racontaient que le roi de Prusse disait tout haut qu’on ne pourrait rien faire d’utile avec la France tant qu’elle serait gouvernée par un vieillard indécis et cauteleux[1].

Fleury ne voyait que trop juste. Quinze jours n’étaient pas écoulés depuis la signature du traité et les ratifications n’étaient pas même encore arrivées que des difficultés s’élevaient sur son exécution, ressemblant à s’y méprendre à celles qui avaient précédé la conclusion. L’impatience de Frédéric prétendait que tout fût fait en un clin d’œil et à la fois, et comme la diète de Suède, mise en demeure de se prononcer par le cabinet français, demandait (ce qui paraît assez naturel) à obtenir de son côté par un traité la garantie que la Prusse, après l’avoir mise en avant, ne l’abandonnerait pas, comme l’organisation de l’armée bavaroise se trouvait retardée par les délais même qu’avait causés la crainte d’être abandonnés de la Prusse, c’en était assez pour que Valori reçût une lettre hautaine dans laquelle Frédéric l’avertissait que le traité devait être tenu pour nul et non avenu jusqu’à ce qu’on eût obtenu de meilleures garanties de l’action promise par Versailles, par Munich et par Stockholm. Podewils recevait en même temps l’ordre de commenter cette déclaration par des communications verbales, et l’on peut juger comment ce ministre, déjà très mal disposé pour l’alliance française, dut s’acquitter de cette tâche, quand on voit en quels termes elle lui était commandée dans ses instructions confidentielles. En voici un échantillon : « Dites à Valori que je ne me laisserai pas leurrer par un ecclésiastique et que, si le cardinal n’a pas envie de faire la guerre, il peut se désister de mon alliance, eu un mot qu’il faut qu’il en passe par là ou par la fenêtre[2]. »

  1. Fleury à Belle-Isle, 17 juin 1741. (Correspondance de l’ambassade à la diète. Ministère des affaires étrangères.) — D’Argenson, Journal, t. I, p. 317, 327.
  2. Frédéric à Valori, 13 juin 1741. — A Podewils, 12 juillet 1741.— Pol Corr., t. I, p. 263 et 277.