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pour en appeler au public. « Voici, dit l’abbé de la Porte, une pièce de poésie qui paraît avoir concouru, et si elle n’a pas eu l’avantage d’être couronnée par l’Académie, elle a du moins celui de lui être dédiée. » C’est Ximénès qui souligne, comme il la qualifie, cette « personnalité offensante ! » Conçoit-on aussi que M. de Malesherbes tolère des journalistes qui fassent remarquer à un colonel qu’idolâtre ne rime pas avec combattre, et que pour un beau vers que Ximénès a rencontré :

Fortune, c’est à toi que César s’abandonne,


c’est dommage que, cent ans auparavant, Brébœuf eût déjà dit, sans y rien changer, le traître !

Fortune, c’est à toi que César s’abandonne ?


Ah ! qu’il y a de poètes encore, et d’auteurs dramatiques, et de romanciers, qui verraient volontiers revenir ces jours heureux où ce pouvait être assez d’un mot du directeur de la librairie pour fermer la bouche à la critique !

Il faut bien dire, en effet, que si quelquefois, comme on l’a vu, M. de Malesherbes résiste au furieux assaut de ces vanités d’auteur, trop souvent il y cède. Il refuse constamment un privilège à Fréron ; c’est qu’il veut le tenir plus immédiatement sous sa main. Il lui donne des censeurs de choix, ce chirurgien Morand, par exemple, dont nous avons parlé tout à l’heure, ou bien encore ce ridicule d’abbé Trublet, et qui, tous, uniformément, se gouvernent d’après un principe bien simple, c’est que tout est permis contre Fréron, mais rien n’est permis à Fréron. « Les auteurs de l’Encyclopédie se plaignent avec raison, écrit Malesherbes à l’abbé Trublet, de ce que l’auteur de l’Année littéraire affecte de parler d’eux dans sa feuille dans les termes les plus injurieux[1]. Il me semble que le sieur Fréron devrait bien être content de ce qu’on tolère la liberté avec laquelle il s’explique chaque semaine sur le mérite des ouvrages littéraires... Je ne saurais croire que la feuille dont je vous parle ait passé sous vos yeux... et, dans cette occasion, je ne doute point que le sieur Fréron ne se soit passé de votre approbation... J’attends votre réponse pour me déterminer sur le parti qu’il faut prendre pour sa punition. » Au reçu de cette lettre, l’archidiacre de Saint-Malo sursaute, et, dictant à son secrétaire, de répondre aussitôt :

  1. Voyez l’Année littéraire, 1756, t. III et IV. Fréron avait traité l’Encyclopédie de «scandaleux ouvrage; » or un arrêt du conseil, celui de 1752, quatre ans auparavant, l’avait qualifiée d’entreprise « tendant à élever les fondemens de l’erreur, de la corruption des mœurs et de l’incrédulité. »