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foule des médiocrités que les maîtres qui ont inscrit leur nom au livre d’or de l’art français, sont partisans de l’École. Ils reconnaissent le charme sévère et pénétrant de Rome, l’influence heureuse des leçons prises chaque jour dans l’étude recueillie des maîtres, les bienfaits de cette demi-retraite si favorable an travail sérieux et à la conception des grandes œuvres, les avantages de cette existence en communion d’idées et de travaux avec des compagnons qu’on retrouvera dans le rude chemin de la vie. Il en est pour cela de l’École de Rome comme de l’Ecole normale. Les anciens normaliens, même ceux qui ont jeté la toque universitaire par-dessus le tonneau des Danaïdes du journalisme, se rappellent avec plaisir leurs années d’école.

A lu villa Médicis, dit-on, l’artiste se trouve banni de ce grand centre de production qui est Paris; il vit avec les morts, il est en dehors du mouvement de l’art. Or Paris n’est-il pas aussi un centre de plaisirs faciles où l’artiste peut perdre le goût et l’habitude du travail? Paris n’est-il pas le foyer même des tentations de toute sorte auxquelles le peintre risque de sacrifier ses plus hautes ambitions et les principes du grand art? La vie avec Raphaël et avec Michel-Ange ne vaut-elle pas, pour élever l’esprit, la vie des cercles ou des brasseries? Ce prétendu mouvement de l’art n’est-il pas le plus souvent qu’une mode passagère qu’il est salutaire d’ignorer? L’enseignement de l’École de Rome, dit-on encore, est exclusif et suranné. Il ne forme que des médiocrités, des « forts en thème » et des artistes tous coulés dans le même moule. On est étonné d’apprendre que Flandrin et Baudry sont des médiocrités. On ignore pourquoi Henri Regnault est considéré comme un « fort en thème. » On se demande si vraiment Rude, Pradier, Jouffroy et Simart sont des sculpteurs coulés dans le même moule. Un autre grief énoncé contre l’École de Rome est qu’elle a été en dehors de tout le mouvement d’art du XIXe siècle. Cela dépend de quel mouvement on entend parler. Si c’est du mouvement impressionniste, nous n’y contredisons pas. Comme suprême argument, on invoque tous les artistes de ce temps qui n’ont pas passé par Rome : Géricault, Eugène Delacroix, Auber, Diaz, Ary Scheffer, Clésinger, Paul Dubois, Meissonnier, Courbet, Carolus Duran, Viollet-le-Duc, Puvis de Chavannes, Vollon, Bonnat; mais on oublie de citer ceux qui sont sortis de l’École. L’Académie de France a eu cependant pour élèves Ingres, Flandrin, Rude, Pradier, David (d’Angers), Gérôme, Cabanel, Baudry, Hébert, Chapu, Baltard, Lefuel, Duc, Charles Garnier, Henri Regnault, Carpeaux, Antonin Mercié, Henner, Herold, Halévy, Berlioz et Gounod. Il nous paraît qu’une école d’où sont sortis ces hommes-là n’a pas démérité. Il nous semble qu’on dot réfléchir plus d’un jour avant d’en décider la suppression.