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royales, est généralement le silence. Si vous parlez, que votre langage du moins n’ait jamais rien de blessant ; la vérité se fait mieux accepter quand elle se présente sous une forme agréable. » Callisthène suivit, le conseil du sage de Stagyre jusqu’au jour où sa jalousie se trouva excitée contre un autre philosophe, Anaxarque. Un flatteur plus adroit et mieux vu que lui, voilà ce que sa grande âme ne put supporter ! À l’instant, il tombe dans l’excès contraire et l’on n’entend plus sortir de sa bouche que des paroles de blâme ; historien sans valeur et déclamateur sans conscience, dont le sort funeste doit sans doute exciter la pitié, mais dont les dépositions passionnées ne méritent pas qu’on s’y arrête. Ainsi donc, jusqu’à la bataille d’Arbèles, pas un mot de censure, pas un doute exprimé sur les contes absurdes qu’une obséquiosité servile accrédite. Darius assassiné, les épreuves des campagnes laborieuses commencent ; l’armée souffre, les humeurs s’aigrissent. Méfiez-vous de votre entourage s’il est tourmenté par les moustiques de l’Arachosie et de la Drangiane ! La louange et l’insomnie font mauvais ménage. nul n’oserait cependant confier au papyrus ses secrets murmures ; le fiel se distille à voix basse et la tradition s’en imprègne dans des conciliabules ténébreux. Il n’y a plus d’autres historiographes officiels que les arpenteurs des marches, — Bœton, Diognète, Archélaüs, Amyntas, — et les grammates chargés de la rédaction des éphémérides, — Eumène de Cardie et Diodote d’Erythrée. — Au retour de l’Inde, les soldats qu’anime l’ambition de marcher sur les traces de Xénophon ou tout au moins d’Éphore ont repris haleine. Le pilote-major de la flotte, Onésicrite d’Égine, s’occupe de mettre en ordre ses souvenirs. Remplis de fables souvent extravagantes et tout empreints d’un suffisant orgueil, les récits d’Onésicrite sont déjà décriés du vivant d’Alexandre. Ce malencontreux pilote a perdu les marins de réputation ; c’est à lui qu’ils doivent le proverbe : « A beau mentir qui vient de loin. » Androsthène de Thasos ne paraît pas avoir eu un meilleur renom de véracité. Reste Néarque, longtemps contesté, Néarque, méconnu par Strabon, réhabilité par Arrien et dont je n’hésite pas à me rendre garant. Le journal de bord de Néarque est aussi authentique, aussi scrupuleux dans les moindres détails que le journal de Chancellor, de Stephen Burrough, de Cook, de Lapérouse ou de Dumont d’Urville. Son exactitude est chaque jour confirmée par quelque observation nouvelle, par quelque découverte moderne. Voilà un marin du moins qui ne ment pas ! Il est vrai que c’est un amiral. Onésicrite s’est donné dans sa relation le titre de navarque ; ce titre, il l’usurpe ; Néarque seul, en vertu de sa lettre de commandement, a le droit de le porter.

Anaximène, Callisthène, Marsyas de Pella, Onésicrite et Néarque, est-ce tout ? n’avons-nous pas d’autres documens émanés de témoins