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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/642

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impraticable pour la France isolée, devenait facile pour la France et pour la Russie agissant d’accord.

Le principal obstacle à franchir dans une expédition qui prend l’Inde anglaise pour objectif, c’est le massif montagneux de l’Afghanistan. Une Suisse orientale, Suisse non moins accidentée, non moins impénétrable que l’autre, mais bien plus étendue, puisqu’elle a presque la superficie de la France, sépare, en effet, l’Inde de la Perse. Subjuguer les Afghans ou les gagner, tout le secret d’une invasion dans les possessions britanniques est là. Paul Ier comptait beaucoup, pour séduire ces farouches montagnards, «sur la grâce et sur l’amabilité qui sont si naturelles aux Français. » On devait offrir « à tous les khans et autres petits despotes » des pays que l’armée allait traverser, « des fusils, des carabines, des pistolets, des sabres de la manufacture de Versailles, des vases de la manufacture de Sèvres, des montres et des pendules des plus habiles artistes de Paris, de belles glaces, de superbes draps de France de diverses couleurs : écarlate, cramoisi, vert et bleu, ce sont les couleurs favorites des Asiatiques, — des velours, des draps d’or et d’argent, des galons et des soieries de Lyon, des tapisseries des Gobelins. » Il n’était pas plus téméraire, à coup sûr, de vouloir aller dans l’Inde, appuyé sur la Russie, qu’il ne l’avait été de débarquer, après avoir trompé la surveillance de la flotte anglaise, sur les plages de l’Egypte. La distance toutefois de la Caspienne à l’Indus, — 300 lieues à parcourir dans une contrée qu’il était permis de se figurer sans ressources, — ne laissait pas d’inspirer quelque hésitation au premier consul. « Ces pays, répliquait Paul Ier, ne sont point sauvages et arides ; la route est ouverte et depuis longtemps pratiquée. Les caravanes se rendent ordinairement, en trente-cinq ou quarante jours, d’Astérabad aux bords de l’Indus. Ce qu’on demande à une armée composée de Français et de Russes n’est, après tout, que la répétition de ce qui a été accompli, de l’année 1739 à l’année l740, par une misérable armée asiatique. Nadir-Shah est allé, dans l’espace de moins d’une année, d’Ispahan à Delhi. »

Quarante mille hommes au plus. — deux tiers de Russes et un tiers de Persans, — suffiraient, au dire de notre compatriote, M. L’adjudant-général Ferrier, pour renouveler cette expédition. L’essentiel est donc pour qui prétend pousser sa pointe vers l’Orient et le Gange, d’être maître de la Perse ou de la compter au nombre de ses alliés. Tel fut l’enchaînement pour ainsi dire fatal des campagnes d’Alexandre.

Après la prise de Tyr et l’occupation de l’Egypte, Alexandre se trouvait à peu de chose près le maître du vaste empire qui constituait, il y a quelques années à peine, l’apanage des sultans; les états actuels du shah de Perse, pour peu qu’on les prolonge par