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hommes; il serait imprudent de passer la nuit dans la position que j’occupe. » Maïroto, on le voit, n’inspirait une confiance absolue qu’au gouverneur.

Le soupçon, à mon sens, était bien permis : que signifiait cette longue exploration dont le vieil oiseleur n’était revenu qu’après toute une journée d’absence? Maïroto n’en avait-il pas profité pour se mettre en communication avec ses compatriotes? Ne leur conduisait-il pas, pour les leur livrer, les soldats qui avaient la simplicité de s’abandonner à sa direction? Tous ces doutes poignans n’empêchaient pourtant pas l’aventureuse expédition de suivre son cours. Le commandant Bonard restait au milieu des fourrés dans lesquels il s’était jeté, prêt à seconder le mouvement tournant, ou à recueillir les volontaires s’ils étaient repoussés; le capitaine Massé continuait ses feux de peloton; les volontaires cheminaient, à cette heure, sur les crêtes. Le plus difficile leur restait à faire : il fallait maintenant passer d’un piton à l’autre. Entre ces deux sommets il existait comme un pont naturel, étroit et périlleux passage dont l’aspect seul suffisait à donner le vertige. Une longue coulée de lave avait, en effet réuni, par une sorte de cloison montant perpendiculairement du fond de la vallée, les lèvres du gouffre demeuré béant. C’est sur ce faîte aigu qu’il s’agissait de passer. Le chamois, poursuivi, se serait rejeté en arrière; nos volontaires ne pouvaient reculer sans perdre en un instant tout le fruit de leurs peines : Maïroto, le premier, donne l’exemple. Il se place à cheval sur le haut du mur, l’embrasse de ses genoux et se dirige ainsi vers la rive opposée. La troupe entière l’imite et chevauche à la file, le fusil en bandoulière. Quand la brèche est franchie, on se compte : personne ne manque à l’appel; aucun volontaire n’a roulé sur la rampe abrupte, les vautours resteront à jeun.

A trois heures et quart, quelques Indiens auxiliaires qui s’étaient glissés en rampant jusqu’au fond du vallon, accourent tout émus vers le capitaine Masse : « Le pavillon des insurgés, planté sur le parapet du fort, a disparu. — Les balles, tirées à toute volée, ont pu atteindre le sommet du mont; elles auront coupé la drisse. — Non ! réplique l’Indien Vaïtotia, qui vient de rejoindre à son tour la colonne; ce ne sont pas vos balles qui ont abattu le drapeau de Fatahua; c’est Tariirii qui l’a enlevé; j’ai vu le jeune chef debout sur le retranchement. » Le capitaine Massé choisit à l’instant dans sa troupe 130 hommes; il les fait précéder par un détachement de 25 voltigeurs et ordonne à Vaïtotia de prendre les devans. Vaïtotia remonte le cours de la rivière et ne s’arrête qu’au pied de la cascade qui s’élance en nappe écumante du plateau supérieur; il se lève alors du milieu des herbes, et, de cette voix perçante qui tient lieu aux sauvages de télégraphe aérien et de trompette, il