Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je partage volontiers, autant du moins que peut me le permettre la simple entrevue dont je viens de parler. Il est certain que Mme la duchesse de Berry est pâle, maigre, qu’elle tousse souvent; le peu que j’ai vu ne me donne pas une haute opinion de sa santé actuelle. Donc, M. Gintrac craint que les divers accidens dont il a déjà été question n’amènent des incidens fâcheux; aussi désire-t-il que quelques médecins de Bordeaux soient appelés en consultation. Le cher confrère n’a pas eu de peine à faire adopter cet avis par le général. M. Bugeaud, s’il en était le maître, ouvrirait la citadelle à tout le monde, il ne saurait à son gré avoir assez de témoins de sa façon d’agir avec la princesse ; aussi saisit-il avec empressement l’occasion de la faire voir à des hommes très répandus, qui ne pourront manquer de dire ce qu’ils auront vu. Donc, la consultation a été arrêtée en principe, et pour arriver à l’exécution, M. Gintrac et moi, nous avons repris à trois heures le chemin du pavillon de la princesse.

Cette seconde entrevue a duré près d’une heure. J’ai pu remarquer que la princesse a beaucoup de vivacité d’esprit, qu’elle parle rapidement et facilement, que ses expressions, sans être absolument choisies, sont claires et nettes, qu’il y a dans son ton général de la bonhomie, de la gaîté, quelquefois même un certain sans-gêne qui est communicatif, engageant. Sa voix est aiguë quoique douce, sa physionomie est pleine de bienveillance; en somme, je me sens tout naturellement porté à des préventions favorables. Est-ce le résultat de ce prestige du rang élevé de Madame ? Est-ce toute autre influence dont je ne me rends pas compte? Peu importe. La suite éclaircira ces graves questions.

En quittant la princesse, nous avons trouvé dans le salon Mme d’Hautefort et M. de Brissac. Mon confrère m’a présenté officiellement à ces deux personnages. Mme la comtesse dit qu’elle m’avait entretenu hier, et qu’en ma qualité de médecin bien portant, je trouvais que le séjour de Blaye n’était pas malsain. La noble dame daigna me taquiner, ce qui ne me fit pas de peine. C’est un premier degré de familiarité qui mène à la confiance. M. le comte de Brissac dit tout simplement que la citadelle lui déplairait moins s’il n’avait eu le malheur d’y gagner des rhumatismes.

De retour chez le général, nous lui avons fait part du succès de notre démarche auprès de la princesse. Il en parait enchanté. Il recommande à M. Gintrac de choisir parmi ses confrères de Bordeaux les plus influens, les plus habiles, les plus répandus et en même temps, si cela est possible, les plus incrédules. J’ai découvert sous les larges lunettes de M. Gintrac un éclair de malice gasconne, un fin sourire piquant comme une aiguille; je crois que la recommandation de M. Bugeaud est tout à fait superflue. Les noms de MM. les