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docteurs Canilhac, Bourges et Grateloup sont à l’instant transmis par le télégraphe à M. le préfet de la Gironde, et nous allons voir arriver demain les gros bonnets de la faculté bordelaise.

Le dîner a été fort gai; tout le monde paraît content et moi je fais chorus. Quelques instans passés au salon ont été consacrés à une causerie pleine d’entrain, et qui doit tout son charme à deux hommes dont la présence dans le château est une bonne fortune pour nous. Le commandant Chardron, du 64e et le lieutenant de grenadiers M. de Saint-Arnaud ont l’heureux privilège de dérider les fronts les plus austères.

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Mme la duchesse de Berry est toujours au lit ; elle s’y tient presque assise, tourmentant sans cesse un gros oreiller qui lui sert d’appui. Elle porte un petit bonnet fort simple, sans rubans, sans dentelles, et, comme elle s’agite beaucoup en parlant, le susdit bonnet se trouve souvent tout de travers. La princesse tient toujours à la main un objet quelconque: livre, brochure ou couteau à papier; elle gesticule avec assez de grâce et donne beaucoup de mouvement à sa physionomie. Sa parole est vive, brusque, mais sans accent étranger; rien de ce côté n’indique son origine napolitaine. Tout ce que j’ai vu et entendu aujourd’hui annonce une complète absence de prétention au beau langage; le naturel se montre partout; je ne crois pas que jamais grande dame ait moins posé. Je m’attendais à voir de grands airs, à entendre quelques phrases à effet, à reconnaître dans une foule de petits riens la femme de sang royal, habituée à voir tout le monde à ses pieds; mon attente a été trompée: il est impossible de montrer plus de bonhomie, de franchise et de naturel.

Notre visite de ce soir était toute médicale; nous avions besoin d’examiner attentivement les moindres particularités de la santé de Madame ; aussi avons-nous procédé à un interrogatoire en forme. La peau est chaude ; il y a de la moiteur aux mains et au visage : le pouls est vif et trop fréquent, la toux revient sans cesse, tout indique une irritation de poitrine dont il s’agit de constater la nature et l’importance.

Comme renseignemens, nous savons que la princesse Marie-Clémentine, archiduchesse d’Autriche, mère de Mme la duchesse de Berry, est morte phtisique en 1801. Nous savons que son père, le roi des Deux-Siciles, a succombé à une affection pulmonaire en 1831; ces circonstances, comme on le voit, ne manquent pas de gravité.

Madame déclare qu’elle a toujours été sujette à s’enrhumer très facilement. La toux qui la tourmente aujourd’hui dure déjà depuis longtemps; aussi avons-nous dû explorer avec soin la poitrine.