Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/752

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par l’exclamation : « Vanité des vanités ! » Les versets 9 et 10, quoi qu’en dise M. Grætz, nous paraissent cependant de l’auteur primitif. Cet épilogue complète bien la fiction qui fait la base du livre. Quel motif, d’ailleurs, eût amené à faire postérieurement une telle addition? Toute interpolation des livres sacrés se fait avec une intention dogmatique et d’après une tendance sectaire. Or les versets 9 et 10 sont les plus insignifians du monde. On ne voit nullement quel eût été le but de l’interpolateur.

Il n’en est pas de même des versets 11 et 12. Ces versets n’ont aucune relation directe avec l’ouvrage. Ils servent évidemment de clausule à une collection de livres[1], et ils invitent le lecteur à regarder cette collection comme définitive, à n’y plus admettre les livres que l’on continuera de faire indéfiniment. M. Nahman Krochmal a très bien aperçu la vérité sur ce point[2]. Non-seulement ces deux versets ne sont pas de l’auteur du Cohélet, mais ils n’ont jamais fait partie du livre. C’est une sorte de petit quatrain inscrit au feuillet de garde du volume des hagiographes, quand le Cohélet occupait les dernières pages de la collection. Cette hypothèse est si satisfaisante qu’on peut la tenir pour un fait acquis.

Les versets 12-14, quoiqu’ils soient d’un ton légèrement différent et plutôt en prose qu’en vers, paraissent avoir fait partie de la même finale. On peut, si l’on veut, les considérer comme un de ces résumés de toute la Bible en quelques mots qui exerçaient la subtilité des rabbins[3]. On pourrait aussi être tenté de voir dans ces deux versets une addition faite au livre Cohélet pour sauver par une réflexion pieuse ce que le livre avait d’hétérodoxe. Mais il faudrait supposer qu’une telle addition se serait faite après que les versets 11 et 12 auraient été, par suite d’un malentendu, incorporés au Cohélet. C’est là une hypothèse compliquée et même, vu l’âge moderne du livre, presque inadmissible.

Le texte du Cohélet est, avec le texte du livre des Psaumes, la partie de la Bible où il y a le plus de fautes de copistes. Toutes ces fautes, comme je l’ai déjà dit, proviennent des confusions auxquelles prête l’alphabet carré. La comparaison du texte massorétique avec les anciennes versions prouve que la supposition de pareilles fautes n’est pas le fait d’une critique aux abois. Cette comparaison fournit déjà le moyen de corriger plusieurs des altérations du texte hébreu. La paléographie fournit un instrument critique bien autrement efficace. Le progrès de l’épigraphie sémitique tirera enfin l’exégèse biblique de l’impasse où elle est engagée. La vieille école, qui s’obligeait

  1. Méhemma, au pluriel, verset 12.
  2. Dans le t. IX du journal hébreu Moré nebouké haz-zéman. Voir Graetz, Kohélet, p. 47 et suiv.
  3. Matth. VII, 12; XXII, 36-40.