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quinze cents francs. Le nôtre apporte avec lui des journaux sur lesquels nous nous jetons avec avidité. Nous y trouvons quelques renseignemens sur la réception qui va nous être faite, renseignemens qui nous intéressent d’autant plus que nous allons les yeux fermés, certains d’un excellent accueil, mais ignorant ce qu’on compte faire de nous. Nous y apprenons que nous devons tous loger à l’hôtel de Fifth-Avenue, et que le 7e régiment de la milice de New-York sera sous les armes pour nous recevoir à notre arrivée. Aussitôt nos militaires de tirer du fond de leurs malles, qu’il ne leur est pas toujours facile de se procurer, tout leur équipement, uniformes, casques, sabres, et c’est grande rumeur le lendemain sur le bateau, quand ils apparaissent dans tout l’éclat de leur tenue. On nous annonce que nous arriverons vers dix heures. effectivement nous ne tardons pas à apercevoir la pointe basse et sablonneuse de Sandy-Hook, et au-delà les collines verdoyantes de Staten-Island. Le temps est clair, le vent froid et assez fort, mais il nous pousse rapidement. Nous franchissons l’étroit passage justement appelé les Narrows, qui ferme l’entrée de la baie. Un coup de canon du vieux fort Lafayette, qui n’offrirait pas à l’occasion une résistance bien sérieuse, salue notre passage, et nous sommes dans la rade de New-York.

Quelques-uns des Américains qui sont à notre bord, justement fiers de cette entrée célèbre, ont eu le tort de nous parler à ce propos de la baie de Naples. C’est un souvenir qu’il faut tout d’abord chasser de sa pensée. On ne retrouve ni la couleur des eaux, ni la courbe du rivage, ni l’arête vive et découpée de la côte, ni rien en un mot de cet aspect de grâce suprême qui feront toujours de cette vieille baie un des coins bénis de la terre. Mais, toute comparaison écartée, le spectacle de la rade de New-York est très saisissant. La lumière est particulièrement claire et les moindres objets, troncs d’arbres isolés, maisons aux couleurs un peu criardes, se dessinent avec netteté sur un ciel pur et pâle. Les collines qui contournent la baie sont très verdoyantes et, sur la droite, les arbres des villas de Long-Island viennent presque baigner leurs branches dans la mer. Dominant une forêt de mâts, les monumens de New-York élèvent dans l’air leurs sommets pointus, dont l’éloignement ne permet pas de discerner les détails et qui donnent à la ville un faux aspect de Constantinople. Mais ces grands ports de l’Orient ont tous un certain air de mort. Ici, au contraire, c’est la vie qui triomphe; la quantité des vaisseaux à l’ancre, le va-et-vient des navires à vapeur de toute dimension, depuis les plus petites chaloupes jusqu’aux plus grands paquebots, tout atteste que ce port est un des grands centres commerciaux du monde, et l’intérêt qu’excite toujours l’activité humaine s’ajoutant à la réelle beauté de la nature produit sur le nouvel arrivant une impression qu’il n’oublie pas.