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essuyée, c’est bien cet ensemble de prétendues réformes qu’il laisse aujourd’hui se produire en son nom, qui sont probablement destinées à avoir une médiocre fortune.

C’était bien la peine de passer deux mois à méditer ou à ne rien faire pour essayer de se survivre, après la chute du 26 janvier, par cette série d’élucubrations bizarres ! Certes les projets ne manquent pas, tous les membres du cabinet du 14 novembre y ont mis la main. Le ministre de l’intérieur de M. Gambetta a son projet de loi sur les associations, qui n’a sûrement rien d’original, surtout rien de libéral, dont tout le secret consiste à transformer en délit le seul fait d’une affiliation quelconque à une association ayant un caractère religieux. La loi semble imaginée, combinée pour cet unique objet. Le dernier garde des sceaux a, lui aussi, son projet savamment élaboré, sa réforme démocratique de la justice, qui supprime tout simplement trois cents tribunaux, au risque de troubler les habitudes, les intérêts des populations éloignées désormais des centres judiciaires, — et qui propose surtout, à titre de nouveauté, d’étendre la juridiction des justices de paix, d’établir un jury correctionnel par arrondissement. Malheureusement, il suffit de lire ce projet pour s’apercevoir qu’en dépit de simplifications apparentes, il ne simplifie rien, qu’il est inapplicable ou dangereux, qu’il n’est fait ni pour relever la magistrature ni pour assurer plus de garanties aux justiciables. Cette idée d’étendre la juridiction des justices de paix particulièrement, elle n’a en définitive rien de nouveau, et appliquée avec prudence, dans des conditions favorables, elle peut sans doute avoir les plus heureux effets; mais avant de procéder à cette réforme qui peut devenir une expérience des plus délicates, est-on sûr d’avoir, à l’heure qu’il est, un personnel à la hauteur de la mission nouvelle qu’il aurait à remplir? Sait-on, de plus, à quel degré d’équité, de libéralisme on arriverait bientôt avec ce système de juges de paix dépendant du bon plaisir de l’état et présidant un jury correctionnel dans un arrondissement? On risquerait infailliblement de tout compromettre, de livrer la justice à deux dangereux ennemis de toute justice, à l’esprit de parti et à l’esprit de localité. On ne tarderait pas à avoir des acquittemens systématiques ou des condamnations passionnées, des représailles pénales. Ce serait surtout vrai aux heures d’excitation. Le dernier garde des sceaux ne s’est pas préoccupé de ces petits inconvéniens. Il a tenu simplement sans doute à montrer qu’il avait, lui aussi, son contingent tout prêt dans les réformes que le vote sur la révision a si brusquement arrêtées au passage ; mais de tous ces ministres du 14 novembre qui ont voulu s’illustrer et illustrer le cabinet auquel ils ont appartenu par leurs œuvres posthumes, le plus surprenant, le plus tapageur est certainement M. Paul Bert, le ministre de l’instruction publique à qui M. Gambetta, par un choix plein de tact, a eu la singulière idée de confier l’administration des cultes.