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lui-même d’ailleurs ne s’est pas dissimulé la gravité du mouvement, puisqu’il s’est empressé de demander aux délégations austro-hongroises un crédit de 8 millions de florins qui sera évidemment insuffisant, de son propre aveu, qui ne pourra suffire tout au plus qu’à envoyer des forces nouvelles pour engager toute une campagne redevenue nécessaire, comme aux premiers jours de l’occupation. En réalité, l’Autriche a aujourd’hui sa Tunisie sur l’Adriatique!

S’il ne s’agissait que d’une explosion nouvelle de cette anarchie locale qui est depuis longtemps la condition de ces provinces, l’Autriche serait certes assez puissante pour la dompter, et elle est assez habile, assez bien servie pour y mettre moins de temps que les Turcs. La question est justement de savoir si l’insurrection est purement et simplement un fait local, si, en d’autres termes, elle ne reçoit pas des excitations et des secours du dehors comme cela est arrivé il y a sept ans. Le nouveau ministre des affaires étrangères, le comte Kalnoki, qui a été interpellé devant les délégations et qui a débuté avec succès dans son rôle parlementaire, s’est cru en mesure de dissiper les craintes qui avaient été exprimées. Il n’a point hésité à donner l’assurance que l’insurrection n’avait d’appui nulle part, ni dans le Monténégro, ni en Serbie, ni à Constantinople, ni à Saint-Pétersbourg, et que l’Autriche, s’appuyant sur l’Allemagne, avait toute la liberté de ses mouvemens, comme elle a la puissance de ses armes. C’est là ce qu’on peut appeler la vérité officielle sur les intentions présentes des gouvernemens, et le ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph a pu s’en prévaloir. Mais ce n’est qu’une vérité officielle, et le comte Kalnoki lui-même n’a pas caché que, si les cabinets n’avaient que des intentions amicales, la propagande panslaviste restait toujours active, que le dernier soulèvement n’était sans doute qu’un incident d’une agitation plus vaste entretenue partout dans les Balkans par les passions et les ambitions de race. Il en a dit assez en même temps, ce nous semble, pour laisser comprendre que tout pourrait s’aggraver, si on n’avait pas des ménagemens infinis, si on cédait à la tentation de chercher plus de sécurité dans quelque occupation partielle du Monténégro ou de la Serbie.

C’est là, en effet, le danger de ces terribles questions : on ne sait jamais ce qu’elles deviendront sous l’influence des passions ou des accidens qui peuvent les dénaturer ou les précipiter, jusqu’à quel point les gouvernemens eux-mêmes resteront maîtres de leurs résolutions. Le prince Nikita du Monténégro peut avoir pour le moment, comme l’espère le comte Kalnoki, la meilleure volonté de ne pas recommencer contre les Autrichiens le jeu qu’il a joué contre les Turcs, de ne donner ni secours, ni asile aux insurgés de la Crivoscie et de l’Herzégovine. Il peut voir son avantage à rester l’allié et l’ami d’une puissance comme l’Autriche, à garder tout au moins une certaine neutralité; mais il lui