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sera sûrement difficile de fermer sa frontière, d’empêcher ses montagnards de se joindre à l’insurrection, ou les insurgés crivosciens de s’appuyer sur son territoire, et s’il ne le peut pas, si les Autrichiens sont conduits à se plaindre, à exiger des garanties, les difficultés peuvent naître aussitôt. — Le gouvernement du tsar est dans les dispositions les plus favorables, les plus pacifiques, il l’a déclaré au comte Kalnoki, qui était récemment ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Il ne fait rien, il ne dit rien qui puisse inquiéter l’Autriche, nous l’admettons ; mais autour de lui les passions slaves ne cessent de s’agiter, et certes rien ne le prouve mieux que le langage tenu récemment par un personnage d’une assez grande notoriété, par le général Skobelef, qui a été un des plus brillans soldats de la dernière campagne. Dans un banquet qui a eu lieu à Moscou pour l’anniversaire de la prise de Geok-Tepé, le général Skobelef a revendiqué tout haut pour la Russie la mission de porte-drapeau du panslavisme contre « l’européisme cosmopolite, » et faisant allusion à l’insurrection de l’Herzégovine, il n’a pas craint d’ajouter ; « En ce moment, des Slaves combattent pour leur indépendance; je sens mon cœur se serrer, et la voix me manque pour exprimer tout ce que je pense. » Le général Skobelef peut être désavoué, soit ! La passion nationale ne reste pas moins; elle parle comme elle parlait à la veille de la dernière guerre, et si l’appel des Slaves des Balkans se faisait de nouveau entendre assez haut, le gouvernement russe, en dépit de ses embarras intérieurs, résisterait-il jusqu’au bout?

Voilà le point délicat, de telle sorte que cette insurrection de l’Herzégovine peut, selon les circonstances, rester un incident limité ou prendre un caractère assez sérieux pour réveiller toutes les questions, pour montrer une fois de plus ce qu’il y a de précaire dans la situation de l’Europe. On n’en est pas sans doute fort heureusement à voir se réaliser dès demain ces merveilleux plans de diplomatie et de reconstruction européenne que des esprits inventifs prêtaient récemment à M. de Bismarck en vue de nouveaux conflits; cette promptitude des imaginations à s’échauffer au premier coup de fusil des insurgés crivosciens est dans tous les cas le signe de ce qu’il peut y avoir toujours de périlleux dans le moindre de ces incidens orientaux.

Sous une autre forme, dans d’autres conditions, les affaires égyptiennes ne sont certes pas moins graves qu’une insurrection dans l’Herzégovine; elles représentent à vrai dire une face particulière de cette éternelle et multiple question d’Orient. Il est certain que ce qui se passe depuis quelque temps, surtout depuis ces derniers mois, à Alexandrie et au Caire est étrange, que ces événemens ont plus d’une fois déjà déconcerté toutes les prévisions et qu’à l’heure où nous sommes, la crise vient de prendre un caractère tel qu’on ne voit plus bien comment elle se dénouera, La situation de l’Egypte, telle qu’elle