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et cela au mépris de la loi des distances et sans autre but que celui d’augmenter la masse transportable. À plus forte raison pour les marchandises. D’après quels élémens établir la formule d’un tarif ? Le prix de revient ? Il varie sur toutes les lignes. L’importance du trafic ? Elle n’est pas moins variable. La distance parcourue ? Un parcours de 50 kilomètres est souvent plus coûteux qu’un parcours double, soit à cause des difficultés de la traction, soit à cause de l’insuffisance du poids à transporter. On aura beau retourner la question dans tous les sens et rechercher le moyen d’organiser, soit entre les différens réseaux, soit sur les sections d’un même réseau, un système de tarif uniforme et à peu près constant, ce sera peine perdue. Il faut « faire payer à la marchandise tout ce qu’elle peut payer. » Cette règle, énoncée par le regretté M. Solacroup, qui a pendant de longues années dirigé les services de la compagnie d’Orléans, est la seule qui soit pratique. À quelques-uns elle a paru trop brutale, et l’on a cru mieux dire en déclarant « qu’il ne faut faire payer à la marchandise que ce qu’elle peut payer. » Cet euphémisme est inutile. N’est-il pas évident que la marchandise ne se présentera pas dans les gares si le prix qui lui est demandé excède ce qu’elle peut payer ? Oui, c’est bien tout, et rien de moins, qu’a voulu dire M. Solacroup, très justement préoccupé, non-seulement des intérêts particuliers de l’entreprise qui opère le transport, mais encore des obligations de justice et d’impartialité qui s’imposent à un entrepreneur privilégié et subventionné. En s’écartant de cette pratique, le tarif entrerait dans le régime des faveurs abusives ; il protégerait plus ou moins telle région, tel groupe d’usines, selon qu’il s’abaisserait plus ou moins au-dessous de ce tout rigide dont M. Solacroup entendait faire la règle de l’exploitation[1].

On peut donc affirmer que, par la force des choses, l’état, substitué aux compagnies, appliquerait les tarifs de la même façon et que, pour ne point laisser ses wagons circuler à vide, pour défendre ses chemins de fer contre les diverses concurrences, pour disputer à l’étranger le transit qui alimente les ports, pour servir tout à la fois la production et la consommation générale, il aurait recours aux mêmes procédés, qui sont en quelque sorte classiques dans l’industrie des transports et au moyen desquels l’entrepreneur, augmentant le trafic et diminuant le chiffre proportionnel des frais d’exploitation, se trouve en mesure de réduire les tarifs. C’est ainsi seulement que, sur nos chemins de fer, le prix moyen du transport, pour la tonne kilométrique a pu être abaissé par degrés au-dessous de 6 centimes et que les tarifs, dont la réduction ne saurait

  1. Dans ses Études économiques sur l’exploitation des chemins de fer, M. de La Journerie a publié une dissertation très approfondie sur le principe des tarifs.