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bataillons décimés aux journées de l’Aima, de Balaklava et d’Inkermann. La race a sans doute ses qualités natives ; le climat exerce incontestablement sa puissance ; néanmoins, au sein même des races les mieux douées, sous le ciel le plus généreux, les armées ne réparent pas aisément leurs pertes. On sait le jugement porté par l’empereur Napoléon à ce sujet : « Les multitudes qui ont envahi la France en 1814 et en 1815, disait le glorieux captif de Sainte-Hélène, n’étaient que de la canaille auprès des vrais soldats que nous avions combattus à Marengo, à Austerlitz, à Iéna. » Tous les grands hommes de guerre ont fait peu de fond sur le nombre ; c’est surtout à la qualité du soldat qu’on les a vus s’attacher. Le soldat, en effet, ce n’est pas seulement un homme brave : il est tel volontaire arrivé de la veille au camp qui, suivant l’expression de l’empereur, « calculera moins le boulet » que le vétéran aguerri par de nombreuses campagnes. Le soldat vraiment digne de ce nom, c’est l’homme qui obéit. Celui-là ne s’exposera peut-être pas à plaisir ; il mourra quand il en aura reçu l’ordre de son général.

Les soldats du début font cruellement défaut quand viennent les jours d’épreuve ; et les lieutenans qu’enfanta la glorieuse ivresse, croit-on qu’on réussisse jamais à les remplacer ? Ceux que la mort n’a pas fauchés ont vieilli ; leur longue expérience est bien loin de valoir l’élan qui les distinguait dans la chaleur de l’âge, « sous le consulat de Plancus. » L’expérience devient trop souvent un penchant grondeur à discerner et à mettre en lumière le côté fâcheux des choses. Comment, du reste, la vieillesse ne serait-elle pas chagrine ? Chaque jour lui apporte de nouvelles amertumes et l’avenir qu’elle a devant elle est trop court pour lui laisser entrevoir des compensations. Parménion est un des exemples les plus frappans de cette opiniâtreté de la fortune à redoubler ses coups quand elle a résolu d’affliger un illustre déclin. Ce n’était pas assez de sa gloire compromise dans la journée d’Arbèles ; il fallait encore que le père fût atteint dans ses affections et dans le juste espoir que lui inspirait la plus noble lignée. Déjà, en Égypte, un des fils de Parménion, Hector, jeune et vaillant guerrier qu’honorait, entre tous ses compagnons, l’amitié d’Alexandre, avait trouvé dans les eaux du Nil un trépas obscur. La barque qui le portait, trop chargée, chavira. Le roi ressentit, presque autant que Parménion lui-même, la perte douloureuse ; les funérailles d’Hector témoignèrent de son deuil et rien ne fut épargné pour donner à ces honneurs suprêmes tout l’éclat par lequel les anciens croyaient consoler les mânes des héros moissonnés avant l’âge. Deux ans plus tard, au moment où l’armée se mettait en marche pour la Bactriane, les fièvres de l’Hyrcanie enlevaient à Parménion un second fils ; Nicanor, le commandant des hypaspistes, était emporté par un de ces accès pernicieux qui laissent à