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peine au médecin le temps de se reconnaître. L’armée ne refusa pas à Nicanor les regrets qu’elle avait accordés à son frère, et le roi, toujours préoccupé de ce culte des morts qui composait le fond des religions antiques, fut sur le point, pour rendre à son ami les derniers devoirs, de suspendre la poursuite de Bessus. Mais on était au milieu du désert, les vivres allaient manquer ; Alexandre se vit obligé de continuer sa route. Croirait-on que, dans cette conjoncture si pressante, le chef de l’armée grecque n’hésita pas à laisser Philotas en arrière avec 2,600 hommes ? Mieux valait, pensait-il, opposer aux Scythes et aux Bactriens une force réduite que priver un général macédonien, un fils de Parménion, un frère d’armes, des honneurs auxquels ses cendres avaient droit. Les dieux cependant se seraient montrés démens s’ils n’avaient jamais infligé à cette race condamnée de plus grands malheurs qu’une tombe sans libations et des obsèques à court de sacrifices.

Parménion avait été laissé en Médie avec un milliard et un corps d’élite composé de 6,000 Macédoniens, de 200 jeunes gens appartenant aux plus nobles familles de la Macédoine et de 5,000 Grecs, dont 200 cavaliers. Son fils aîné, Philotas, commandait, dans l’armée de la Drangiane, la cavalerie des hétaires. Déjà redoutable avant la mort de Darius, la puissance de cette famille illustre n’était-elle pas cent fois plus à craindre encore depuis que l’Asie soumise remplissait toute l’armée de pensées de retour ? Dans Parménion, les mécontens trouvaient enfin un chef. Alexandre n’avait pas d’enfans : qu’il disparût, la succession au trône de Macédoine devenait vacante ; un conspirateur heureux pouvait y aspirer. Ce ne sont ni des Turenne, ni des Wellington que nous avons à juger ; ce sont, — qu’on ne l’oublie pas, — des Guise et des Douglas. Leurs actes malheureusement ont été appréciés par des rivaux, et c’est là, je l’avoue, ce qui me trouble un peu quand je m’apprête à faire le procès à leur mémoire.

L’armée campait, depuis neuf jours, dans les plaines de la Drangiane ; un dangereux complot, détestable dessein, mystérieusement tramé dans des régions obscures, arrive, par une confidence imprudente de Dymnus, le chef des conjurés, à la connaissance de Nico-maque. Qu’était ce Nicomaque ? Un jeune officier sans consistance et que son rang inférieur dans l’armée n’autorisait pas à se présenter, sans y être invité, devant Alexandre. Épouvanté du dangereux secret dont il porte le poids et dont il ne sait comment se décharger, Nicomaque consulte son frère Ceballinus. Tous deux reconnaissent qu’il n’y a pas un instant à perdre et qu’il faut, avant tout, mettre, par un prompt avis, le roi sur ses gardes. Philotas avait, à toute heure, accès près du souverain ; c’est à Philotas que Ceballinus s’adresse. Philotas, le commandant de la cavalerie des hétaires, l’ami d’Alexandre,