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est averti ; sans doute Alexandre lui-même va l’être. Deux jours se passent, Philotas voit le roi, l’entretient de divers sujets ; il ne lui dit rien du complot. Prend-il du moins quelques dispositions pour écarter du héros confiant le danger qui menace à chaque instant sa vie ? Philotas laisse son maître, son roi, son général, l’homme qui l’honore de son amitié, exposé pendant deux jours aux coups des assassins sans rompre le silence, sans éveiller la vigilance des gardes ! Trahison plus flagrante s’est-elle jamais produite, je ne dirai pas, dans une cour, je dirai, pour mieux faire comprendre ma pensée, au sein d’un état-major ?

Ceballinus, inquiet, ne voyant donner aucune suite aux avis pressans que son anxiété réitère, se résout à faire prévenir Alexandre par Métron, que Vaugelas, un des traducteurs de Quinte-Curce, appelle « le chef de la garde-robe, » mais dont les fonctions me paraissent avoir eu, en réalité, beaucoup plus de rapport avec celles de Duroc, le grand maréchal du palais sous le premier empire. Métron, — combien la conduite de ce serviteur fidèle rend plus choquante encore l’indifférence coupable de Philotas ! — Métron commence par s’assurer de la personne de Ceballinus et court incontinent chez le roi. Il le trouve au bain. Dès les premiers mots que Métron prononce, Alexandre, assiégé depuis longtemps des plus affligeans soupçons, comprend la gravité de la communication ; avec sa présence d’esprit habituelle il donne sur-le-champ ses ordres. « Qu’on aille arrêter Dymnus. » Maintenant où est le dénonciateur ? Le roi ne veut laisser à personne le soin de l’interroger. Ceballinus voit à peine entrer Alexandre dans l’appartement où Métron l’a renfermé, qu’il s’écrie : « O mon roi ! je te revois donc sain et sauf ! Les dieux t’ont arraché aux mains impies des traîtres ! » Tout ce qu’il a pu apprendre du complot, Ceballinus à l’instant le révèle. « Depuis combien de temps, lui demande Alexandre, savais-tu qu’on en voulait à ma vie ? — Depuis trois jours, répond le frère de Nicomaque. — Et c’est aujourd’hui seulement que tu me préviens ! » Une information si tardive pouvait-elle venir d’un soldat loyal ? N’indiquait-elle pas plutôt un conjuré hésitant, indécis, et qui ne se résignait à livrer ses complices que par la crainte d’une découverte qui l’aurait perdu lui-même ?

À cette imputation, Ceballinus proteste : sa contenance, son accent sont empreints d’une sincérité qui ne saurait échapper au regard, pénétrant d’Alexandre. Dès que Nicomaque s’est ouvert à lui, Ceballinus n’a eu garde de perdre un instant pour chercher le moyen d’arriver jusqu’au roi ; il a tout rapporté à Philotas. Les rois n’ont pas d’amis : Louis XIV et Napoléon se le sont bien souvent répété avec amertume. Il est cependant des noirceurs que leur cœur ne soupçonne jamais. Alexandre fait appeler Philotas. Sur le complot