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son itinéraire ; c’est un point intéressant à déterminer lorsqu’il s’agit d’un artiste aussi sensible que Van Dyck aux influences nouvelles, aussi prompt à les refléter dans ses ouvrages. Probablement, il traversa la France ; dès le 20 octobre, on le trouve à Gènes. Restée, comme Venise, république indépendante au milieu de l’asservissement de l’Italie, Gênes était alors le centre commercial le plus actif et le plus riche de la péninsule. Une noblesse intelligente et une opulente bourgeoisie y rivalisaient de luxe et d’ostentation. Douze ans auparavant, Rubens y avait reçu le plus généreux accueil ; il avait fait, en souvenir de ce séjour, graver, d’après ses dessins, les palais magnifiques et les somptueuses églises de Gênes, et depuis cette époque n’avait cessé de correspondre avec le chef d’une maison patricienne, chef en même temps de l’école de peinture locale, l’infatigable décorateur Paggi. Paggi sans doute introduisit le nouvel arrivé dans cette société brillante où les arts étaient non-seulement aimés, mais encore pratiqués ; Van Dyck y retrouva plusieurs compatriotes, entre autres Lucas et Cornelis de Wael, les deux fils du vieux Jean de Wael, ancien doyen de la guilde des peintres, à Anvers : l’un, peintre de paysages, l’autre, peintre de genre, avec lesquels il se lia d’une solide amitié. Un portrait peint de la National Gallery, qu’on peut compléter par la description écrite de Bellori, nous permet d’imaginer la personne de Van Dyck à vingt-deux ans : vif, alerte, bien pris dans sa petite taille, d’un teint clair et rose, les lèvres fraîches et fines, presque imberbe encore, en assez bon point, avec ses cheveux châtains et bouclés en désordre, avec sa main soignée qu’il affectait de montrer, avec sa tournure élégante et un peu dédaigneuse, il avait presque l’air d’une jeune fille. Tous les contemporains constatent la grâce de ses manières, le charme de sa parole, la distinction de son esprit. Il se trouva à l’aise dans les fastueux salons de la Via-Nuova comme dans son milieu naturel ; les Spinola, les Brignole, les Durazzo, les Pallavicini l’accueillirent comme cavalier avant de l’employer comme peintre. Chez les Lomellini, il gagna les bonnes grâces d’une des dernières survivantes du grand XVIe siècle, la célèbre Sofonisba Anguisciola, de Crémone, octogénaire aveugle, autrefois peintre en titre du roi d’Espagne, qui, après avoir perdu son premier mari, le vice-roi de Sicile, s’était remariée à un gentilhomme génois. Sofonisba, qui aimait à grouper autour d’elle les artistes, parla longtemps au jeune peintre de Titien qu’elle avait connu ; Van Dyck disait volontiers plus tard que cette aveugle lui en avait plus appris sur les couleurs que la plupart des clairvoyans. N’était-ce pas déjà Titien qu’il avait appris à admirer dans le palais de Rubens ? Aussi lui tardait-il de voir Venise. Cependant, il ne paraît point, comme on l’a cru longtemps, qu’il se soit dirigé vers la Haute-Italie avant d’avoir vu Rome et Florence. Faut-il croire que les conseils de Rubens