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de Thomas de Savoie, prince de Carignan, généralissime des troupes espagnoles. M. Michiels suppose qu’il ne rentra en Angleterre qu’à la fin d’avril 1635, après avoir aidé Rubens, déjà souffrant de la goutte, dans la direction des travaux pour l’entrée triomphale du cardinal-infant à Anvers, le 17 avril. Cette supposition n’a rien d’invraisemblable.

A dater de ce retour, Van Dysck surmène plus que jamais ses forces avec un inconcevable aveuglement. L’ardeur au travail s’exagère chez lui en même temps que d’ardeur au plaisir. Le gouffre l’attire à mesure qu’il se creuse. On ne parviendra jamais à dresser la liste complète des portraits grands ou petits, isolés ou de famille, qu’il peignait alors. Cependant ni la renommée de premier portraitiste de son temps, ni les ressources énormes que cette renommée lui assurait ne suffisent à assouvir ses ambitions de gloire, mon plus que ses besoins d’argent. Le désir mal contenu d’être aussi le premier parmi les peintres d’histoire se réveille en lui avec une violence inattendue. Remarquons qu’il ne perdit jamais une occasion d’entrer, sur ce terrain, en lutte ouverte avec Rubens ; d’abord, en 1626, c’est à Bruxelles, où il oppose son Assemblée échevinale au Jugement de Cambyse ; bientôt, en 1641, ce sera à Paris, où il demandera à décorer la galerie du Louvre, comme son martre avait décoré la galerie du Luxembourg. A Londres, à l’époque où nous sommes parvenus, en 1636, ce sont les quatre murailles de la salle de White-Hall qu’il veut couvrir de tapisseries, fabriquées d’après ses cartons, sous le plafond rayonnant que Rubens venait d’y achever. En poursuivant avec opiniâtreté toutes les occasions de se mesurer avec le puissant créateur qui l’avait formé, Van Dyck montrait-il un juste sentiment de ses propres forces ? Il est permis d’en douter. En tous cas, de toutes façons, le moment était fort mal choisi pour se prendre à de si gigantesques projets. D’une part, dans cette fabrication ininterrompue de portraits souvent insignifians, il avait pris de telles habitudes ’d’improvisation qu’il s’était déjà en plusieurs occasions trouvé presque impuissant à traiter des sujets historiques. Le Mariage mystique de sainte Catherine, le Sauveur guérissant les malades, Samson et Dalila, l’Amour et Psyché révèlent, avec l’affaiblissement de la main, un grand affaiblissement de l’imagination. D’autre part, les finances royales étaient dans un état déplorable. Strafford et Laud défendaient ce qui restait du trésor contre les prodigalités de la cour avec une énergie désespérée. Le malheureux Charles en était réduit à vérifier lui-même ses factures avec une rigueur d’usurier. Rien de plus lamentable que l’aspect du mémoire de fournitures qui lui fut remis en 1638 par son premier peintre, dont la pension n’avait pas été payée depuis cinq années.