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par où elle voulait plaire[1]. » Plaisirs bruyans, franche gaîté, propos libres, voilà le ton du jour ; la maladie de l’attendrissement viendra en son lieu ; pour l’instant, personne n’y pense, pas plus là-bas qu’ici.

Les Mémoires de l’électrice sont importans pour éclairer définitivement ce point. Elle voyageait beaucoup, savait regarder et raconter ce qu’elle avait vu. Ses descriptions fixent la physionomie de l’Allemagne de son temps. Nous défions de trouver une société où les réalités tiennent plus de place, où les subtilités du sentiment en tiennent moins. La série des tableaux commence avec le départ de La Haye (1650), lorsque la princesse Sophie vint habiter à Heidelberg, chez son frère Charles-Louis, rétabli dans une portion des états paternels par les traités de Westphalie. C’est d’abord, pendant le voyage même, le duc de Neubourg, le « plus propre de sa cour, » mais y ayant trop peu de peine. C’est le landgrave de Hesse-Cassel, dont la femme court la poste à cheval, son ajustement en désordre, et suivie d’une demoiselle aussi « délabrée » que sa maîtresse. C’est l’intérieur de Charles-Louis, à Heidelberg : l’électrice Charlotte joue des griffes, tape, mord, grimpe sur des échelles, un couteau à la main, pour tuer les amies de son mari. Celui-ci, prince patient et débonnaire, s’était appliqué inutilement à adoucir l’humeur de sa femme. Il l’avait « mitonnée sept années de suite sans en avoir pu venir à bout. » Chaque complaisance nouvelle « la faisait cabrer davantage, car elle était de l’humeur de son oncle le landgrave Frédéric, qui n’était soumis que quand on le maltraitait. » Plus de femmes qu’on ne croit aiment à être battues, et l’électrice Charlotte était du nombre. Le mitonnage n’eut d’autre résultat que des scènes scandaleuses où la favorite, Mlle de Degenfeld, faillit être mise en pièces, et que la’ princesse Sophie, au courant de tout, experte en tout, aussi peu dégoûtée en paroles que sa nièce la mère du régent, conte lestement dans ses Mémoires.

A Stuttgart, chez le duc de Wurtemberg, à Darmstadt, chez le landgrave George ou le landgrave Louis, à Zell, à Osnabrücke, à Hanovre, l’impression laissée par les Mémoires est la même. Ces gens-là sont à cent lieues de la sentimentalité vague qu’on s’est plu à représenter comme l’un des traits essentiels du caractère germanique. Ils sont, au rebours, essentiellement positifs. En galanterie, en religion, dans les choses du sentiment et dans la conduite de la vie, ils vont au solide, ne perdent point de temps en soupirs ni à regarder le clair de lune. Pendant un voyage en Italie, l’électrice est frappée du commerce de déclarations en prose et en vers qui se fait autour d’elle et du peu de suites sérieuses de ces bouquets à Chloris. — « Je crois, ajoute-t-elle plaisamment, qu’il n’y avait que M. le duc (son mari) qui profitait

  1. Mémoires de l’électrice Sophie.