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Jésus-Christ est né en Palestine, que les chrétiens chantent encore les psaumes de David ? Les gens qui ne l’aiment pas ont prétendu que ses réquisitoires lui avaient été inspirés moins par la vivacité de ses ressentimens que par un secret calcul. Il a fondé, comme on sait, une secte nouvelle, celle des socialistes chrétiens. Cette entreprise n’a pas eu tout le succès qu’il espérait, et on le soupçonne de n’avoir pris les juifs à partie que pour conquérir la faveur populaire et remplir Berlin du bruit de son nom. Il lui fallait un tremplin, les juifs le lui ont fourni. C’est du moins l’opinion de M. Mehring, ce n’est pas la nôtre. Nous croyons de tout notre cœur à la sincérité de M. Stocker ; son malheur est d’avoir trop de goût pour le métier de démagogue évangélique, et ses entraînemens compromettent ses louables intentions. Il a paru plus d’une fois se repentir d’en avoir trop dit, se reprocher les incontinences de sa langue et de sa plume ; mais le naturel ne tarde pas à reprendre le dessus, et après avoir fait pénitence, il retourne au péché. Que Jéhovah lui pardonne ses incartades en considération du chagrin que lui ont causé les déconvenues de sa campagne électorale à Berlin ! Il y est resté sur le carreau.

Un ennemi des juifs plus atrabilaire que M. de Treitschke, plus féroce, plus irréconciliable que M. Stocker et tout à fait incapable de se repentir jamais des sottises qu’il dit à son prochain, est le terrible et célèbre docteur Dühring. Nous avons eu déjà l’occasion de parler de cet écrivain de grand renom, ancien privat-docent, qui fut révoqué par M. Falk, un peu pour avoir trop vanté « l’incomparable grandeur de Jean-Paul Marat, » et les glorieux exploits humanitaires des communards, mais surtout pour avoir médit avec trop d’aigreur de M. Helmholtz et des plus illustres professeurs de l’université de Berlin[1]. Une partie de la jeunesse, dont il était l’idole, protesta bruyamment contre sa révocation. Elle l’admirait pour sa vie austère et laborieuse, pour l’étonnante variété de ses connaissances, pour l’étendue et la vigueur de son esprit, pour l’âpreté de sa dialectique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages qui ont été justement remarqués. Il a écrit une histoire de la mécanique, couronnée par l’université de Goettingue, une histoire de la philosophie, une histoire de l’économie politique et du socialisme. On a dit de saint Jérôme que l’étude était sa passion dominante, que la colère n’était que la seconde. M. le docteur Dühring a pour le moins deux passions dominantes ; on peut douter qu’il étudie avec plus de plaisir qu’il ne se fâche. Il appartient à la race des superbes, et personne ne trouve grâce devant lui. Archimède, comme Descartes, Aristote et Leibniz, comme M. Helmholtz, ont été en butte à ses mépris, et il traite volontiers ses confrères de capacités de troisième ordre, quelquefois aussi d’hallucinés, de charlatans,

  1. Voyez la Revue du 1er septembre 1877 : une Révocation à l’université de Berlin.