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fatigues, les rigueurs d’une campagne d’hiver. Il résolut donc de se fortifier dans Pisek, dont il fit une sorte de camp retranché et dont il se proposa de ne pas bouger, à moins de nécessité absolue, avant la belle saison. Ce parti, qu’il défendit contre toutes les objections qui lui furent présentées avec une hauteur obstinée, pouvait prêter à la critique ; mais les censeurs eussent été probablement moins nombreux s’il eût consenti à retourner de sa personne à Prague, dans une grande ville où les jeunes officiers de son entourage auraient trouvé, avec les commodités de la vie, quelques occasions de délassement. Il ne leur donna pas cette consolation ; loin de là, craignant toujours d’être pris par surprise et ne voulant pas que son inaction fût taxée de faiblesse, il demeura de pied ferme, lui, ses fils et tout son monde, dans cette bourgade, où ils étaient plus campés que logés. Il restait ainsi exposé, par un froid très rigoureux, à des privations de toute espèce qu’il donnait l’exemple de supporter avec une parfaite indifférence.

Rien n’est plus opposé, on le sait, au tempérament français que le calme dans la souffrance et le support patient d’épreuves plus pénibles que glorieuses ; aussi les murmures devinrent-ils très vifs, non parmi les soldats, qui savaient gré à leur général de partager leurs peines, mais dans la brillante jeunesse, qui ne connaissait que deux manières de passer le temps : le plaisir ou le combat, et Belle-Isle dut recevoir plus d’une confidence pareille à celle-ci, que je trouve encore signée du même d’Aubigné : « Je vous dirai, monsieur, qu’autant je désirais être employé quelque part pendant que les troupes restaient en quartier d’hiver, autant je désire actuellement rentrer à Prague. Il ne me convient nullement de rester à Pisek, qui est un quartier abominable pendant l’hiver. J’y pourrais trouver quelque adoucissement sous vos ordres, mais n’en chercherai point avec cet homme-ci… A Prague, je mènerai la vie que je voudrai, et si vous y veniez, je serai sûr de vous voir, ce qui n’est pas indifférent pour moi. »

Ce qui prêta bientôt quelque apparence de raison aux reproches d’inertie et d’immobilité faits au maréchal, ce fut la situation alarmante dans laquelle ne tarda pas à se trouver placée la division française laissée sur le Haut-Danube. C’est de ce côté, en effet, que les Autrichiens, renonçant à forcer le maréchal dans ses positions de Bohême, mais ne craignant pas non plus de l’en voir sortir, se trouvèrent libres de porter leur principal effort. Tandis que l’armée du grand-duc, se retranchant elle-même dans une série de places fortes (Iglau, Neuhaus, Budweiss et Tabor), formait comme une barrière qui fermait la communication entre la Bohême et la Haute-Autriche, le maréchal Khevenhüller, à l’abri derrière ce rideau, commençait l’attaque