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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/24

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dont il était chargé. Son corps d’armée, que Marie-Thérèse destinait à reconquérir le plus ancien patrimoine de sa famille, avait été formé à Vienne, par elle-même, et sous ses yeux, avec un soin tout particulier. De douze mille hommes qui le composaient d’abord, elle l’avait porté à seize en y joignant des levées de Hongrie et des troupes rappelées d’Italie, tandis que Ségur n’en commandait pas plus de huit à dix mille. Le maréchal était un vieux compagnon du prince Eugène. Le soir où il quittait la capitale, elle lui envoya un portrait où elle était représentée tenant son fils dans ses bras ; elle y joignit une lettre de sa main qui fut lue sur le front des troupes en manière d’ordre du jour : « Cher et fidèle Khevenhüller, y était-il dit, tu as devant les yeux l’image d’une reine abandonnée du monde entier, et de l’héritier de sa race… Que deviendra cet enfant ? C’est à toi que je le demande. Sa mère te confie comme à un fidèle ministre tout ce qu’elle a de force et de puissance. Agis donc, ô héros et fidèle vassal, suivant le compte que tu auras à rendre à Dieu et aux hommes. Prends la justice pour bouclier, fais ce que tu crois juste, sois sans pitié pour le parjure, suis les exemples de ton glorieux maître qui est dans le sein de Dieu, et mérite toutes les faveurs de notre reconnaissance royale pour toi et ta famille, en même temps qu’une immortelle renommée devant Dieu et devant le monde. Que Dieu te prête vie et force dans les combats[1] ! »

Khevenhüller se montra digne de cette confiance. Dès les premières rencontres, Ségur, étonné de trouver dans des troupes qu’on croyait abattues une ardeur et même une force numérique qu’il n’attendait pas, abandonna un peu précipitamment les positions qu’il occupait sur la rivière d’Ens et se retira dans Linz, où il n’allait pas tarder à être bloqué. Il dépêcha à Prague pour demander du secours en même temps qu’il donnait avis de son péril à Francfort. En réponse à cet appel, le maréchal Torring rassembla tout ce qu’il y avait encore dans Prague de troupes bavaroises et se mit en route pour lui venir en aide. Mais le chemin était long et difficile ; toutes les communications directes étant interceptées, on ne pouvait suivre que des voies détournées, et il était douteux que ce secours, lui-même insuffisant, fût en mesure d’arriver à temps. Une seule opération eût été réellement efficace, c’eût été une puissante attaque dirigée contre le front de bataille de l’armée du grand-duc pour la forcer ou lui passer sur le corps et tomber sur les derrières de Khevenhüller au moment où il commencerait le blocus de Linz. Broglie ne s’y refusait nullement, malgré son désir de ne rien risquer pendant l’hiver. Mais le succès de cette tentative, très douteux si l’armée française était seule à l’entreprendre, ne pouvait

  1. D’Arneth, t. II, p. 9.