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vement à l’exécution de quelques ordres d’achat pour les capitaux d’épargne.

Il ne faut certes pas se plaindre de l’importance que vient de reprendre subitement, au plus fort de la crise, ce marché du comptant, dont l’influence avait été annulée par le développement depuis si longtemps ininterrompu de l’esprit de spéculation. Provoqués par l’abaissement soudain des prix des valeurs mobilières, les capitaux de placement ont afflué, et les valeurs achetées sont entrées en quantité déjà considérable dans les portefeuilles pour n’en plus sortir de longtemps. C’est grâce à l’intervention opportune de cette réserve de la richesse nationale que la déroute a pu être arrêtée et qu’une crise de bourse n’est pas devenue le krach tant redouté. En 1873, à Vienne, cette réserve faisait défaut, et c’est pourquoi l’effondrement avait été le terme fatal de la crise.

Mais les capitaux de placement, si utile, si efficace et sûre que soit leur action, n’opèrent que lentement. Ils ne peuvent absorber chaque jour qu’une bien faible portion du stock effrayant de titres flottans que la tempête a rejetés sur la place, et il serait désirable, pour le succès rapide de l’œuvre du déblaiement, qu’elle fût assurée du concours de la spéculation. La spéculation guérit les blessures qu’elle fait, et, après l’avoir bien maudite pour les excès auxquels elle s’était laissé emporter, voici qu’on est obligé de lui demander aujourd’hui de ne pas tomber dans une exagération contraire et ne pas pécher par trop de sagesse.

Ce qui manque en effet au marché, depuis le commencement du mois, c’est l’opération à terme. En banque comme au parquet, les intermédiaires l’ont supprimée de fait, et les choses se passent comme si la proposition qu’un député vient de présenter à la chambre pour interdire les opérations à terme était devenue texte de loi. La défiance est à l’ordre du jour, et on n’opère plus que titres contre argent ou argent contre titres, comme l’exigeaient les règlemens du milieu du dernier siècle. Ce retour aux traditions sévères peut paraître édifiant aux moralistes peu experts aux choses de la finance, mais les économistes éclairés le constatent avec regret. On se demande de quel secours serait en ce moment le marché de Paris si l’état avait à entreprendre quelque grande opération financière, et la suppression de fait des opérations à terme, suppression momentanée, il faut l’espérer, a eu cette conséquence que le gouvernement a dû inscrire dans son programme ces mots rassurans, mais peu flatteurs pour l’état où se trouve le crédit national : « Ni conversion, ni emprunt, ni rachat. » Cette inscription n’a-t-elle pas été d’ailleurs un soin quelque peu superflu ? et n’était-il pas évident que, dans la situation actuelle, on ne pourrait ni convertir la rente, ni contracter des emprunts, ni racheter des chemins de fer ?