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à ses caresses avait fini par l’éclairer. Après avoir quelque temps maugréé contre Hyndfort et menacé même d’écrire à Londres pour le faire révoquer, il s’était résigné à comprendre que si le négociateur se montrait si obstinément maussade, c’est qu’il n’y avait aucune espérance de trouver meilleure grâce chez la partie principale intéressée. Avec sa mobilité et aussi sa résolution accoutumée, il avait alors fait son compte et pris son parti en conséquence. Puisque la victoire rendait Marie-Thérèse intraitable, il ne restait qu’une seule manière de la disposer à une humeur plus accommodante, c’était de lui appliquer un châtiment efficace, de nature à abattre son orgueil et ses espérances. Frapper un coup, un seul s’il était possible, mais énergique et à fond, sauf à voir le lendemain si on pourrait, sur de nouveaux et meilleurs termes, reprendre la conversation, ce fut la pensée qu’il adopta et qu’il mit sur-le-champ à exécution. Les dix jours d’intervalle lui suffirent pour concentrer ses troupes et leur faire prendre la position la plus propre à offrir et à livrer la bataille au prince Charles dès le lendemain de la réponse de Vienne. Au jour donné, en effet, il se trouvait (il le dit lui-même dans l’Histoire de mon temps) à la tête d’une armée belle et reposée, prête à tenter le sort des armes, composée de trente-quatre bataillons et soixante-quatre escadrons ; en tout près de trente-trois mille hommes. Aussi le post-scriptum de sa lettre à Podewils, datée du 11, fut-il ainsi conçu : « Nous campons le 13, effet de la négociation[1]. » Et Podewils put écrire en toute sincérité à lord Hyndfort : « Rien ne peut plus retenir le roi, il ne respire que vengeance. »

Avant d’aller prendre sa position de combat, il eut cependant encore le temps de mander auprès de lui l’envoyé de France dont, dans les jours précédens, il évitait avec soin la conversation. À la vérité, il n’avait pas eu beaucoup de peine à s’en garder, car Valori, entièrement découragé, fermant volontairement les yeux sur des desseins qu’il ne comprenait que trop bien, mais qu’il se sentait impuissant à combattre, n’insistait plus pour obtenir audience et se bornait à remplir sa correspondance de gémissemens et de sinistres pronostics : « Ma situation devient tous les jours plus désagréable, écrivait-il de Chrudim même, je suis le seul présent ici des ministres étrangers ; personne ne me voit, et mon application continuelle est d’éviter les occasions où on pourrait manquer de considération au ministre du roi. » Grande fut donc sa surprise de recevoir l’invitation de se rendre sous la tente royale, et d’entendre le ton d’affection et de confiance sur lequel le roi lui communiqua les dernières propositions qu’il avait reçues de Vienne.

  1. Pol. Corr., t. II, p. 137-138.