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sang-froid ironique : « Vous raisonnez comme un théorème de Newton, mais gageons qu’on n’en jugera pas ainsi à Vienne. » Bref, il ne consentit pas à autre chose qu’à transmettre par courrier les propositions prussiennes sans modification et sans commentaire, et il demanda dix jours pour attendre le retour de son envoi[1].

Dans de telles conditions, l’accueil de Vienne ne pouvait être douteux : la reine était dans l’exaltation de ses succès et moins que jamais disposée à dépasser la limite de concessions qu’elle n’avait même jamais sincèrement acceptées. Elle ne tarissait pas d’ailleurs en invectives sur les perfidies de Frédéric, et la première fois qu’on lui reparla, après l’éclat de la première rupture, de rentrer encore en pourparlers : « Est-ce que quelqu’un de sérieux, dit-elle, peut maintenant attendre du roi de Prusse autre chose que des impostures ? » Et au grand-duc, qui voulait toujours prendre lui-même la plume pour s’assurer des dispositions véritables du roi : « Mon cher cœur, dit-elle, vous écrirez s’il vous plaît, mais il n’en est pas digne et il en fera mauvais usage. Ne vous avilissez pas, et prenez (pour ne pas répondre) le beau prétexte de vos conquêtes. »

Elle en trouva elle-même un meilleur encore pour faire une réponse qui ne la compromettait pas. Elle comprit qu’en insistant sur l’exigence d’une assistance immédiate et effective (qu’elle n’obtiendrait sûrement pas), elle pourrait, sans risquer d’être prise au mot, se montrer coulante sur le reste. Aussi, tout en persistant à repousser toute cession de territoire en Bohême, laissait-elle entendre qu’elle consentirait à étendre la partie à céder de la Silésie, « mais toujours à condition expresse et pas autrement que ledit roi garantisse le reste des états de la maison d’Autriche, du moins ceux de l’Allemagne, et qu’il s’unisse avec la reine et les puissances maritimes pour faire sortir au plus tôt les troupes françaises de l’empire dont ils (sic) oppriment la liberté. Condition, ajouta-t-elle avec une nuance d’ironie, qui, loin d’être déshonorante pour le prince, lui acquiert la gloire d’être le libérateur de sa patrie et le restaurateur de la liberté publique. » Quand cette réponse fut transmise par Hyndfort à Podewils : « N’y a-t-il rien de plus au fond du sac ? » dit le ministre. « Non, sur l’honneur, » répondit l’Anglais. « Alors, nous sommes tous deux bien à plaindre, car nous avons travaillé en vain[2]. »

Effectivement, dès que le roi fut avisé qu’il n’avait rien d’autre à attendre, il écrivit à Podewils que, devant une pareille impertinence, il croyait tomber en syncope. Au fond, cependant, il exagérait sa surprise. L’accueil plus que froid fait à ses instances et

  1. Grünhagen, t. II, p. 221.
  2. D’Arneth, t. II, p. 67 et suiv., 480-481. — Grünhagen, t. II, p. 231.