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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/264

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avec Lobkowitz. « Si le prince arrive, disait-il, je serai accablé. » De plus, lui comme Belle-Isle avaient reçu dans ces derniers jours lettres sur lettres de Versailles, tant du ministre que du cardinal, les avertissant de ne jamais se mettre dans le cas d’avoir un besoin indispensable du roi de Prusse, attendu qu’on n’était jamais sûr de lui et qu’on le soupçonnait toujours de vouloir faire une paix fourrée. C’était l’effet des tristes et trop justes pressentimens de Valori. Mais au moment d’agir, ces recommandations revenaient en mémoire et n’avaient rien d’encourageant[1].

Broglie fit part de ces incertitudes à Belle-Isle, et ce jour-là, malgré leur antipathie déclarée, les deux maréchaux mirent leur patriotisme et le sentiment de leur devoir au-dessus de leurs passions personnelles. Belle-Isle surtout avait cette facilité d’humeur que donne le sentiment du triomphe. « Il était, disait plus tard le maréchal de Broglie, tout lumineux des dignités et des honneurs dont il était comblé. » Ils convinrent, pour satisfaire Frédéric et pour soutenir l’honneur des armées françaises, de faire une charge contre le prince Lobkowitz, qui venait de se rapprocher des lignes françaises pour mettre le siège devant la petite ville de Frauenberg, gardée par des troupes bavaroises. Une fois que, par cet acte énergique, l’ennemi aurait été intimidé et remis à distance, Belle-Isle irait de sa personne au camp prussien concerter avec Frédéric le plan général des opérations de l’été, et s’assurer en le regardant en face et en interrogeant son visage de la sincérité du concours qu’on pouvait attendre de lui. L’attaque combinée eut en effet lieu le 26 mai et avec un plein succès : les troupes françaises arrivèrent à l’improviste sur les derrières de l’armée de Lobkowitz, dont elles rencontrèrent l’arrière-garde dans les environs du village de Sahay à la sortie d’un défilé très étroit. Un combat très vif s’engagea, qui ne dura que quelques heures et se termina à l’avantage des Français. Ce n’était qu’une petite affaire, mais elle avait été très chaude et très lestement emportée, avec toute la valeur et tout l’entrain qui faisaient la réputation de nos armées. Lobkowitz se retira précipitamment, abandonnant le siège qu’il avait entrepris.

Les deux maréchaux étaient restés toute la journée fraternellement côte à côte, et, le soir, paraissaient également radieux : ils se félicitaient réciproquement de leur victoire. Belle-Isle fit même à son collègue la politesse de désigner son second fils, le comte de Revel, pour porter à Versailles la bonne nouvelle. Dès le lendemain

  1. Amelot à Belle-Isle, 15-29 avril, 12 mai 1742. (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.) — Fleury à Belle-Isle, 20 mars 1742. Belle-Isle à Broglie, 21 mai. (Correspondances diverses. — Ministère de la guerre.) Broglie à Breteuil, 19 mai. (Correspondance officielle. — Ministère de la guerre.)