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curieux et saura également, je le crains, ce qu’elle doit conclure du caractère et des procédés de l’écrivain[1].

Toutefois, la fin de l’entretien avait été assez cordiale, la façon de parler du roi avait paru assez explicite, son désir de faire une paix commune et avantageuse pour tous assez sincère pour que Belle-Isle, en quittant Kuttenberg, ne désespérât pas encore de ses intentions ultérieures : « Tenons seulement un mois, disait-il à Valori, et tout sera sauvé. » Mais, au moment de partir, il reçut du roi lui-même l’avertissement que, d’après des informations apportées par des éclaireurs, le prince Charles, avec un corps de vingt mille hommes, se portait décidément dans la direction du camp de Lobkowitz. L’avis était utile, mais l’événement était si aisé à prévoir et il eût été si facile de l’empêcher, qu’on ne pouvait guère en être reconnaissant. Belle-Isle ne fit pas moins parvenir la nouvelle en diligence au maréchal de Broglie en même temps qu’il se rendait lui-même à Dresde, suivant le conseil de Frédéric, pour tâcher d’obtenir de l’armée saxonne le secours qu’il ne pouvait plus attendre des Prussiens.

Quelque hâte qu’il pût faire, il était trop tard. Avant même qu’il eût quitté le camp prussien, la jonction des deux armées autrichiennes était déjà opérée. D’après le rapprochement des dates, il ne peut être douteux que le prince Charles avait attendu pour se mettre en mouvement la réponse de Marie-Thérèse aux propositions de Frédéric. Mais le messager qui en était porteur, en traversant ses lignes, n’avait pu manquer de la lui communiquer. Certain dès lors de n’être ni poursuivi, ni attaqué, agissant en pleine sécurité contre un ennemi qui lui était livré sans défense, le prince avait poussé sa pointe avec une hardiesse et une célérité inattendues. Rejoignant d’abord à marches forcées, puis embrassant avec lui la division Lobkowitz, il n’eut qu’à se présenter aux avant-postes français avec des forces qui, réunies, ne montaient pas à moins de soixante mille hommes, pour rendre nécessaire la retraite du maréchal de Broglie, qui n’en comptait pas plus de vingt-cinq à trente. Le maréchal lui abandonna d’abord le terrain occupé en avant de Pisek, puis Pisek même (où, avec une telle infériorité de forces, il

  1. Belle-Isle à Amelot, de Kuttenberg, 4 juin 1742. (Correspondance de Prusse et Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.) — Il y a deux dépêches de Belle-Isle relatives aux divers points de la conversation. — Pol. Corr., t. II, p. 181. — Frédéric à Podewils, 4 juin 1742. — Le compte-rendu de Belle-Isle et celui du roi diffèrent sur certains points. C’est dans la note royale que se trouve la citation latine : Beati possidentes. Il parait même que Frédéric l’avait écrite sous cette forme : Beatus est posedendi. Ce sont les éditeurs modernes qui ont corrigé ce solécisme.