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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

symétriques ou parallèles de pensées et de formes ont complètement disparu. Le chant de Daphnis a quatorze vers et celui de Damœtas dix-neuf, et chacun conserve toute sa liberté d’allure. Ce qui établit entre eux un caractère commun et les rattache au genre bucolique, c’est la nature des idées, la langue et le rythme.

S’il semble que le bucoliasme ait dû son origine à des dialogues improvisés pendant la célébration d’une fête d’Artémis en Sicile et en Italie, il était dans la nature des choses que ces bergers chanteurs exerçassent leur talent ailleurs que dans ces occasions solennelles. Une fois retournés dans leurs montagnes, non-seulement ils pouvaient se préparer entre eux à ces assauts poétiques et les renouveler dans ces encadremens pittoresques que Théocrite et ses imitateurs se sont plu à nous retracer ; mais, sans nul doute, en dehors de ces luttes d’improvisation, ils composaient à loisir dans les solitudes où ils gardaient leurs troupeaux. Théocrite dit lui-même par fiction dans l’idylle viie : « Vois si tu aimerais ce petit chant que j’ai composé naguère dans la montagne. » De là des chansons apprises et répétées, humbles monumens de la muse pastorale, transmis de génération en génération comme les nobles rhapsodies de l’épopée. C’est ainsi que durent se conserver les vieilles légendes siciliennes de Daphnis et de Comatas. Un berger renommé pour son talent de poète ou de chanteur disait, à la joie de son public champêtre, la chanson de Comatas ou la chanson de Daphnis, son œuvre ou celle d’un autre berger. Sans doute aussi, celui chez qui s’était éveillé l’instinct poétique et qui se sentait en possession des ressources d’un art bien simple, était tenté par les sujets qui s’offraient d’eux-mêmes à lui : la nature environnante, ses troupeaux, sa vie, ses amours vraies ou supposées. Telle devait être aussi la matière des chants amœbées. Qui prétendrait définir et limiter avec précision le mouvement poétique dans ces âmes naïves, quand elles reçurent le souffle de la muse dans la libre simplicité des mœurs pastorales de la Sicile ? Ce qui manqua, ce fut moins la variété des sujets que l’ampleur du développement et la perfection de l’art.

Qu’étaient-ce, en effet, que ces accens qui, avec le son du chalumeau, s’échappaient des vallées ombragées de la Sicile, comme la voix douce et sauvage de cette gracieuse nature ? Quelle était la forme, quel était le rythme de ces chansons ? Il est probable qu’elles conservaient une ressemblance extérieure avec les chants alternés. Des couplets très courts, comme l’inspiration du poète, quelquefois séparés par des refrains, des répétitions de coupes, d’expressions, d’idées, dont le balancement régulier berçait agréablement son oreille et entretenait dans son esprit une excitation modérée qui