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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

à une espèce de chant bucolique que Théocrite emprunta cet usage du refrain, ou bien l’avait-il trouvé aussi dans d’autres formes de chanson populaire en Sicile, où l’on nous dit que ces refrains étaient une habitude locale ? C’est ce que nous ignorons. Toujours est-il qu’il établit un rapport entre l’idylle des Magiciennes et l’idylle franchement bucolique qui renferme le chant de Daphnis.


IV.

C’est ainsi que Théocrite recueille, pour leur communiquer la vie de l’art, la vie durable, les formes particulières de chant que lui offre la Sicile. En ayant soin de leur conserver leur caractère, il crée une poésie nouvelle, capable de réveiller la sensibilité littéraire de ses contemporains. Nous avons déjà dit qu’il ne s’enferme pas étroitement dans ces formes ; il s’y meut avec liberté, les assouplit à son usage ou même s’en affranchit, suivant le ton qu’il veut prendre et la nature des effets qu’il veut produire. Il ne se borne donc pas à une ingénieuse appropriation ; en vrai poète, il domine la forme et la plie à exprimer ce qu’il veut et ce qu’il sent. Parmi ces pièces si variées, il en est une tout à fait à part et que beaucoup considèrent comme le chef-d’œuvre de la pastorale grecque, c’est l’idylle des Thalysies, la septième dans le recueil. Heinsius l’appelait divine, toute de lait (lactea), plus douce que le plus doux miel, la reine des églogues. Sainte-Beuve, dont j’ai déjà rappelé l’intelligente admiration pour Théocrite, s’est plu à l’analyser en détail et à en traduire des morceaux. Les anciens en ont imité une foule de vers ; Virgile surtout y a beaucoup puisé. Or ce qui frappe, quand on essaie de rattacher la pastorale de Théocrite à son origine, c’est que par la forme ce poème ne se rapporte à aucune des deux espèces du bucoliasme sicilien : on n’y trouve ni dialogue régulièrement alterné avec des effets de symétrie et d’antithèse, ni couplets à refrain. Faut-il voir dans ce fait une confirmation d’une opinion émise par des critiques, et en particulier par Fritzsche, d’après laquelle les Thalysies seraient une œuvre de la jeunesse du poète, antérieure à son séjour en Sicile et à une action directe des influences locales qu’il y subit ? Théocrite, en effet, s’y représente comme jeune, place la scène à Cos, où une tradition le fait naître et où il fut très probablement élevé, et y mentionne avec complaisance des lieux et des habitans de cette île. Mais, d’un autre côté, les élémens siciliens y tiennent aussi une grande place, et il nous paraît, pour le moins, aussi vraisemblable que, dans cette composition, où la fiction a beaucoup de part, il ait pris plaisir à retracer et à présenter comme récens des souvenirs de sa jeunesse. Ne nous attachons donc pas à cette ques-