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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/316

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REVUE DES DEUX MONDES.

tion de date, et, sans prétendre savoir ce qui ne nous est attesté par aucun témoignage certain ni déterminer au juste à quel moment de la carrière poétique de Théocrite appartient cette idylle, essayons d’indiquer ce qui en a fait le succès.

Nous venons de dire que les Thalysies ne sont une imitation d’aucune des deux formes du bucoliasme. Ce n’est donc pas le mérite d’une habile appropriation qui séduisit les connaisseurs. Non ; mais ils y trouvèrent, ainsi que tous ceux qui aimaient la pastorale, ce qui fait surtout le charme de ce genre de poème, une plénitude champêtre de vie facile et douce, une impression de calme et d’abondance dans la simplicité rustique, un idéal de mœurs pastorales qui, sans s’élever ni se raffiner, ni se passionner trop, s’embellit par le sentiment des beautés de la nature agreste, par la poésie et par l’amour. En parlant des origines de la poésie champêtre, nous rappelions naturellement les jolis vers d’Hésiode sur les plaisirs de l’été, et nous montrions comment le tableau du vieux poète se rétrécissait pour entrer dans le moule gracieux d’un couplet bucolique. Veut-on le voir, au contraire, s’amplifier et s’animer dans un développement plus riche : qu’on lise la fin des Thalysies, cette peinture d’un repas de sacrifice, où les invités, étendus sur des lits de joncs et de pampres fraîchement coupés, à l’ombre des peupliers et des ormes doucement balancés par le vent, parmi les poiriers et les pommiers qui versent leurs fruits autour d’eux, respirant toutes les senteurs de l’été à son déclin, en entendant tous les bruits, le chant voisin des cigales, le gémissement lointain des tourterelles, le bourdonnement des abeilles, et aussi le murmure tout proche d’une fontaine qui s’échappe d’une grotte et dont les nymphes mêlent au vin leur pur nectar, s’abandonnent à la sensation délicieuse de cette fête de la nature, à laquelle préside la déesse des biens de la terre, Déméter Aloas, souriante sur son piédestal, les deux mains chargées d’épis et de pavots. Le ton, le cours abondant et facile des vers, le charme pénétrant des expressions et des tours, l’art d’une composition qui se dérobe, font de cette description un morceau de maître, et personne ne l’a lue sans l’admirer.

Il y a, dans l’idylle des Thalysies, un autre genre de mérite très différent que le poète a eu le talent de concilier avec le premier, et par lequel, assurément, il s’attira les suffrages de ses contemporains, dont il flattait les goûts raffinés en même temps qu’il reposait leur imagination par ces tableaux de la campagne. Je veux parler des personnalités, non déguisées ou allégoriques, qui tiennent au fond réel du sujet ou qui s’y adaptent ingénieusement. La scène, avons-nous dit, se passe dans l’île de Cos, et tout porte à croire que Théocrite assista réellement à cette fête domestique de Cérès, dont il