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puisait dans son patriotisme cette double force, si rare de nos jours : la foi dans ses idées, la volonté de les réaliser à travers tous les obstacles. Son apparition d’un jour au ministère de la rue Royale aura eu du moins un résultat positif : ses projets de réforme ont reçu de leur auteur même une publicité qui semble appeler une discussion approfondie et générale. Nous ne discuterons ici qu’une seule des idées soulevées par ce vaste programme. Dans une pensée d’économie et de simplicité d’action, le port militaire de Rochefort, création de Colbert, était menacé dans son existence même. La raison des choses nous semble, au contraire, l’appeler à une importance nouvelle, que l’avenir ne peut que grandir encore. Ne nous trompons-nous pas ? La question vaut la peine d’être étudiée avec tous les développemens qu’elle comporte.


I.

L’objectif évident de toute marine militaire est la guerre maritime. Le problème fondamental qui s’impose à nos recherches avant tout autre est donc : Que sera une guerre maritime ? Chose étrange ! nul aujourd’hui, même parmi les plus distingués des hommes de mer, ne peut répondre à cette question. J’ajoute : nul d’entre eux ne peut dire quel sera véritablement l’instrument de combat dans une telle guerre.

Cette double assertion veut être prouvée. Ne semble-t-elle pas, en effet, un pur paradoxe, alors que non-seulement l’Angleterre, pour qui la mer est le suprême intérêt, mais toutes les nations du monde, dépensent chaque année, et depuis plus de trente ans, des sommes fabuleuses pour le maintien ou le développement de leur marine militaire ? L’Angleterre a ses Invincible, l’Italie ses Duilio, la France ses Dévastation, et pas un de ces formidables engins de guerre, où le bronze, le fer, l’acier s’accumulent sous toutes les formes, ne serait le type définitif du vaisseau de combat de l’avenir ! et leur réunion ne constituerait pas une de ces flottes puissantes, sinon invincibles, sur lesquelles une nation pourrait comme autrefois se reposer en toute confiance et de ses intérêts commerciaux et de la sécurité de ses frontières maritimes ! S’il en était ainsi, si ce double but n’était pas atteint, si ces dépenses étaient vaines et vains ces longs et persévérans efforts, à quoi bon continuer dans une voie sans issue ? Mais alors quelles sont les causes de cette impuissance supposée des flottes de guerre actuelles à assurer ces résultats supérieurs et de leur infériorité en regard des flottes d’autrefois qui y suffisaient pleinement ?

Ces causes sont multiples ; essayons d’établir celles dont l’action semble décisive.