Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saires particuliers. Dans cette mêlée, qui décidera du succès ? « Un hasard heureux comme celui qui, à Lissa, a immortalisé le nom de Tegethof, » qui, « ainsi que Nelson à Trafalgar, a triomphé bien plus par l’énergique audace du capitaine que par les savantes combinaisons du tacticien[1]… » Ces extraits, nous pourrions les multiplier. Quels aveux plus explicites peut-on demander qu’aucune règle fixe ne préside plus à la tactique navale ; que cette science, autrefois à peu près positive, « ne quittera plus désormais son caractère spéculatif et ne ressemblera pas à ces rameaux du savoir humain qui sont fondés sur des dogmes précis et des règles bien déterminées[2] ? »

Ainsi, variété du type de l’unité de combat, variété de composition des escadres, un seul moteur donnant en mer libre toute liberté d’allures au navire isolé, mais laissant dans l’indétermination les règles des combinaisons tactiques ; non plus une seule arme, mais trois armes dont un seul coup peut être mortel : tels sont les élémens constitutifs de toutes les marines actuelles. Qui les différencie ? La puissance individuelle de chaque cuirassé, le nombre de ces cuirassés.

Telles sont les marines de ce jour, étant donnée comme juste l’idée fondamentale dont elles procèdent toutes, que, seul, le cuirassé d’escadre est le véritable instrument de combat. Dès lors on peut poser comme démontrées les propositions suivantes qui s’enchaînent logiquement :


1o À égalité individuelle des élémens constituant deux escadres cuirassées ennemies, la victoire est assurée à la plus nombreuse des deux escadres, dont la réserve ne s’engagera qu’après les premières phases du combat, choc, début de la mêlée.

2o L’action devra donc être imposée par la plus nombreuse des deux escadres, la seconde étant, toutes choses égales d’ailleurs, sûre d’être vaincue et détruite.

3o Les forces respectives en nombre et en qualité de deux marines étant toujours connues dès le début des hostilités, l’empire de la mer appartiendra sans conteste à celle des deux nations dont la flotte cuirassée est la plus nombreuse (marines française et allemande, 1870 ; marines russe et turque, 1877).

4o Les grandes batailles navales ayant pour objectif l’empire de la mer, il n’y aura plus de batailles rangées.

5o La guerre maritime est supprimée.

  1. Amiral Bourgois, Mémoires sur la question des cuirassés.
  2. Lieutenant Smeckin, aide de camp de l’amiral Boutakof, Lecture sur la tactique.