Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Conclusion absurde, mais qui prouve que les prémisses du raisonnement logique qui y conduit sont fausses, c’est-à-dire que : 1o si le cuirassé d’escadre en opposition à tout autre navire a peut-être une supériorité réelle sur son adversaire, il n’est pas l’expression vraie de l’unité de combat sur mer, vainement cherchée jusqu’à ce jour ; 2o qu’une escadre, réunion plus ou moins nombreuse de cuirassés d’escadre, n’est pas l’expression de la puissance navale.


II.

Il y a longtemps déjà, aux premières années de ce siècle, Fulton, le véritable précurseur des ingénieurs de nos jours, avait trouvé le secret d’un bateau porte-torpilles sous-marin et l’offrait successivement aux gouvernemens de France et d’Angleterre. Tous deux rejetèrent ses offres, mais, après avoir fait étudier le nouvel engin de guerre par des commissions qui devaient se prononcer et sur son efficacité, et sur les conséquences probables de son adoption, l’efficacité en fut reconnue, et c’est elle qui décida du refus des deux gouvernemens, alors pourtant engagés dans une guerre acharnée. « Nous avons la suprématie de la mer, dit le comte de Saint-Vincent, premier lord de l’amirauté anglaise ; nous appartient-il d’encourager l’adoption d’un instrument de guerre qui peut nous l’enlever ? » Pitt, le grand ministre, ajoutait : « Un tel système, s’il réussit, ne peut manquer d’annihiler toutes les marines militaires. » Quant à la commission française, elle motivait ainsi les conclusions de son rapport : « Qu’adviendra-t-il des marines futures quand, à tout moment, un vaisseau pourra être lancé en l’air par un bateau-plongeur dont aucune prévision humaine ne peut nous sauvegarder ? »

Les gouvernans de notre époque ont passé outre à ces scrupules, à ces considérations d’avenir. Avec une ardeur singulière, ils se sont montrés pleins d’émulation en sens contraire, et, croyant sans doute que chacune des inventions nouvelles de ce genre constituait un progrès, donnait une puissance nouvelle à la marine de leur pays, ils ont accepté et adopté toutes les inventions dont le secret leur a été offert. Certes, à voir les machines de guerre formidables dont se composent les flottes actuelles, à considérer les sacrifices d’argent qu’elles imposent, à en juger surtout par le développement qu’elles ont pris, non-seulement dans les pays qui, toujours, prétendirent exercer une action sur les mers, mais encore dans ceux qui n’eurent jamais de marine militaire, il semble que les hommes d’état du passé se sont trompés dans leurs prévisions ; il semble que les faits eux-mêmes les ont démenties. Au fond, en réalité, en est-il bien ainsi, et lesquels ont bien vu dans l’avenir, d’eux ou des hommes d’état de nos jours ?