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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/37

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Jean sans Terre, donné par un plaisant à Charles VII, fit fortune à Paris. Une plaisanterie plus savante et plus analogue au goût allemand fut celle-ci, qui circula avec le même succès dans Francfort : on fit le modèle d’une médaille portant d’un côté l’image du grand-duc avec cet exergue : Aut Cæsar aut nihil ; de l’autre, celle de Charles VII avec la même devise modifiée : Et Cæsar et nihil. Belle-Isle, en qualité de parrain et de tuteur, sentait qu’il avait sa part dans les quolibets lancés à l’adresse de son pupille.

Ce fut au milieu de cette impression générale de désenchantement que les mauvaises nouvelles arrivèrent successivement à Versailles et à Paris, apportées par toutes les correspondances de l’armée : d’abord la prise de Linz, puis les incidens de Moravie et le bruit de la querelle des deux maréchaux, enfin leurs récriminations réciproques. Les correspondances du camp, d’ailleurs, de quelque côté qu’elles vinssent, étaient toutes maussades et chagrines. La guerre, qui avait exalté tant de jeunes têtes, ne répondait à aucune espérance. On avait rêvé des campagnes d’été sur les bords du Rhin ou du Pô, avec des retours et des communications faciles et des courriers apportant tous les jours des gazettes, des nouvelles à la main et de tendres souvenirs. On hivernait dans un pays perdu, sous un ciel inclément, tantôt noyé dans la boue, tantôt bloqué par les neiges ; on croyait avoir fini, et subitement tout était à recommencer : tout le monde se plaignait, et on ne disputait que pour savoir à qui était la faute. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris si les esprits se partagèrent à la cour comme à l’armée et si les griefs de Belle-Isle trouvèrent moins d’accueil qu’il ne s’y attendait, tandis que les réclamations de son successeur rencontraient plus d’appui et d’échos que lui-même peut-être ne l’avait prévu.

Il faut bien se rappeler aussi que tout à Versailles était alors rapporté à un seul intérêt qui effaçait et éclipsait tout autre. La seule question qui préoccupait était de prévoir ce qui allait arriver le jour où la Providence jugerait enfin convenable de soumettre Fleury, comme tout autre mortel, au cours ordinaire de la nature, qu’elle semblait jusqu’alors se plaire à suspendre en sa faveur. Advenant cet événement toujours attendu, toujours retardé, mais que chacun pourtant aurait appris le matin en se levant sans surprise, entre les mains de qui tomberait le dépôt de la puissance royale ? Tout était là : toute autre affaire, qu’elle fût politique, militaire ou mondaine, était jugée au seul point de vue de l’effet qui en pourrait résulter à ce moment critique. Or, tant que Belle-Isle avait eu le vent en poupe et que là fortune semblait répondre à tous ses appels, il était le successeur désigné, et chacun se mettait en règle avec cet avenir. Dès que son étoile sembla pâlir, d’autres noms furent