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prononcés et d’autres ambitions furent en éveil. On parla de l’ancien ministre Chauvelin, toujours en exil, ou bien d’un prince de l’église, comme Fleury, le cardinal de Tencin, renommé comme un habile ambassadeur et dont la présence au pouvoir aurait eu l’avantage de ne rien changer, pas même l’apparence extérieure, pas même la robe du premier ministre. Ces sentimens s’échangeaient déjà tout bas quand les malheurs d’Allemagne donnèrent un prétexte pour les produire tout haut. Du jour au lendemain, autant Belle-Isle avait déjà de rivaux et d’ennemis cachés, autant Broglie, par cela seul qu’en disant du bien de lui on dépréciait son adversaire, se trouva, sans le savoir, de défenseurs imprévus et intéressés.

Dans ce conflit qui devint la grande affaire du jour et dont les suites furent importantes, la force des tenans des deux parts était à peu près égale. Broglie avait de son côté presque tous les ministres et les gens en place qui, ne redoutant de sa part aucune compétition, voyaient au contraire dans Belle-Isle un maître futur dont l’avènement amènerait à sa suite des visages nouveaux et de nouveaux appétits à satisfaire. Il était appuyé de plus, outre ses relations personnelles, par les amis en grand nombre (et des deux sexes) que Maurice de Saxe avait laissés à la cour et que le bouillant Saxon avait soin d’entretenir par une correspondance qui ne chômait pas. L’indiscipline des officiers, l’inconvenance de leurs propos contre leur général, la duplicité du roi de Prusse, la persistance de Belle-Isle à rester sa dupe : c’étaient autant de sujets qui prêtaient merveilleusement à ces emportemens d’un langage passionné et piquant qui lui étaient familiers. Mais Belle-Isle, de son côté, n’était pas sans défenseur, car il demeurait l’espoir de tous les mécontens qui se plaisaient à imputer les malheurs de la guerre aux fautes de l’administration supérieure, et ce groupe-là, en tout pays, est toujours plus nombreux que celui des gens satisfaits. Il avait ses correspondances aussi qui, en fait de verve mordante, valaient bien celles de Maurice : c’étaient les lettres à lui adressées par Frédéric, toutes pleines d’épigrammes cyniques contre Broglie, et qui, bien que confidentielles, se trouvaient habituellement (par une indiscrétion qui surprenait toujours, mais qui ne manquait jamais) circuler, à point nommé, dans les ruelles et les cafés de Paris. . Enfin, les influences dont la douceur-fait la force ne lui faisaient pas non plus défaut : de loin pas plus que de près, il n’était oublié du petit cénacle où le roi venait, chaque soir, se distraire des ennuis de son intérieur. A la vérité, la plus utile de ses protectrices, M, ne de Vintimille, n’y figurait plus : une couche malheureuse l’avait enlevée à la passion naissante et au désespoir du roi. Mme de Mailly survivait seule, plus belle, moins spirituelle et moins ambitieuse que sa