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nous parlerait en nous faisant entrer par les idées dans la contexture harmonique connue il faisait entrer ses contemporains dans la couleur ! Si la musique eut des frontières, aujourd’hui son royaume s’étend partout, rien de ce qui touche à l’intelligence, rien d’humain ne lui demeure étranger : elle, jadis avec Haydn et Mozart, la pure voix des affections de l’âme, va devenir avec Beethoven, l’organe de la pensée, et cessant d’évoquer en nous des sensations plus ou moins vagues, concentrera l’effort de sa méditation sur tels sujets déterminés qu’elle coordonne et développe systématiquement ; laissons l’horizon s’élargir et bientôt ce que la parole semblait seule appelée à rendre, la musique voudra l’exprimer ; voici Berlioz et la symphonie de Roméo et Juliette, une tragédie descendue du théâtre dans l’orchestre. Passe encore s’il ne s’agissait que de nous peindre l’état psychologique des deux amans, leurs ardeurs, leur ivresses et leur infortune ; mais non, c’est le drame tout entier qui se déroule scène par scène et sans paroles ; la querelle des domestiques au lever du rideau, l’intervention pacifique du prince, le bal chez les Capulet, et tout cela splendide, imposant, entraînant et d’un intérêt à la fois musical et dramatique, un Delacroix à grand orchestre dont quelque Shakspeare aurait simplement écrit le programme. Essayez donc ensuite de médire de ces transpositions d’un art à l’autre qui seront un jour le signalement de notre époque et dont l’avenir nous tiendra compte ! Je soupçonne un peu de quel nom les pédans de l’heure actuelle nommeront cet art, ils nous enseigneront que c’est de l’alexandrinisme. Eh bien ! après ? Ne nous a-t-on pas aussi conté que Goethe était un alexandrin ? tant mieux pour les alexandrins !

Les peintres nous représentent les muses, non point séparément, mais en groupes et divinement enlacées. Ainsi, les arts veulent être compris, chacun conservant sa forme individuelle, son particularisme, et, tous, venant s’unir et se confondre dans l’idée au sein d’une atmosphère dont la poésie fournira l’éther lumineux, ce qui, je le répète, n’empêchera point la poésie d’être à ses momens un art absolument personnel, de même que la philosophie redevient une science fermée et retrouve son quant-à-soi après avoir servi de base fondamentale à toutes les sciences. Analogie, relation, mutualité, les romantiques, je le veux bien, ont souvent abusé du paradoxe, mais celui qui, jadis, définit l’architecture une musique passée à l’état solide et la musique une architecture liquéfiée, Schlegel, on peut le dire, ne s’amusa point cette fois à jongler avec des antithèses. Nierons-nous les rapports qui existent entre les combinaisons profondes et fantastiques, les symétries, les enroulemens et les enchevêtremens du style de Sébastien Bach et la cathédrale gothique ? Une symphonie de Mozart n’a, je le confesse, ni des portes, ni des fenêtres, vous y chercheriez vainement des