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métopes ou des triglyphes, et, quoi qu’en ait dit Auber, qui voulait que le paradis fût en ut majeur, personne, jusqu’ici, ne nous a révélé dans quel ton était la cathédrale de Paris. Mais étudiez sévèrement chez Haydn, Mozart et Beethoven l’ordonnance imperturbable de la symphonie ; rendez-vous compte des parties, considérez-en la forme abstraite : andante, scherzo, rondo, et voyez si tout cela ne répond pas aux principes d’une certaine construction monumentale. Lorsque je parle à un musicien d’introduction, de phrase incidente, il sait tout de suite à quel stade du morceau j’entends faire allusion, de même qu’un architecte à qui vous parleriez de vestibule, de cime ou d’architrave. C’est se tromper que de croire que la musique est un art de pur agrément et qu’elle a rempli son mérite quand elle nous a promenés pendant une couple d’heures à travers des enfilades de mesures aussi charmantes qu’arbitrairement attachées les unes à la queue des autres. Des arabesques multipliées ne font pas un tableau, l’ouverture de la Muette, celle de Zampa sont de beaux morceaux ; pourquoi ne les voyons-nous pas figurer parmi l’œuvre des maîtres sur les programmes du Conservatoire ? C’est parce qu’il leur manque l’élément architectural, cette force organique de symétrie et d’harmonie dont les ouvertures de Beethoven portent la marque. Art purement architectonique avec Sébastien Bach, art d’expression sentimentale avec Haydn et Mozart, la musique deviendra plus tard, grâce à l’influence de Rousseau, de Shakspeare et de Goethe sur l’auteur de Fidelio, des Sonates et des Symphonies, l’art de la pensée pure et tournera chez Franz Schubert au pittoresque. Ut pictura poesis, disait Horace ; Ut pictura et poesis musica, dira Schubert, musique de l’âme, musique de l’esprit, musique de la parole écrite et chantée.

J’ai cité la Lénore de Bürger : les lieds de Goethe ont également contribué à chasser de l’atmosphère l’ariette, la chanson et tous les éternels lieux-communs du rococo italien. Aussi longtemps qu’avait duré la période du contrepoint et du « joli petit oiseau des bois, » personne ne s’était avisé d’aller demander à la musique autre chose que de la musique. Les premières œuvres de Beethoven, conçues dans le sens de Haydn et de Mozart, ne nous montrent encore que la même absence de préoccupation à l’endroit d’un élément quelconque, extra-musicale Vous vous y promenez de mélodie en mélodie comme en un jardin, vous admirez la beauté des fleurs, vous en respirez le parfum avec ivresse, et puis c’est tout. Cependant Beethoven avait son idée de derrière la tête qui déjà commence à percer dans la sonate pathétique et que nous révèle ouvertement la sonate en ut majeur destinée, — c’est le maître lui-même qui nous l’apprend, — à nous initier à l’état d’âme d’un mélancolique, lequel mélancolique n’est autre que Beethoven.