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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/434

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bizarre symbolisme national, transporté dans l’art musical par les anciens compositeurs, n’est-il pas curieux de le voir en usage chez plusieurs des mieux classés parmi les modernes, chez Karl Löwe, que nous venons de citer plus haut, et qui s’ingénie à l’appliquer à tout ? Ainsi l’oratorio des Sept Dormeurs commencera et finira par sept accords de septième faisant allusion aux sept frères et tenus par sept instrumens à vent. C’est se donner bien de la peine pour un très mince résultat[1]. Il en faut dire autant d’une de ses meilleures pièces : l’Apprenti sorcier. On connaît la ballade de Goethe : l’apprenti commande au balai d’aller puiser de l’eau, et le musicien, par une phrase figurative, nous peint le balai qui se met en branle. Cependant, quand il veut arrêter cette force machinale imprudemment déchaînée, l’apprenti s’aperçoit qu’il a oublié la formule. Effaré, pris de terreur, il s’attaque au balai à coups de hache ; le balai se fend en deux, la figure mélodique fait de même et devient un canon à deux voix.

Schubert néglige cet art de subtiliser et chante à cœur ouvert. Un musicien peut être peintre et poète, sans avoir pour tâche d’empiéter sur le domaine de la poésie et de la peinture, ni prétendre les rendre inutiles ; la poésie est l’art des mots, et la musique l’art des sons, mais il arrive telle situation où les deux vont avoir à se confondre ensemble, où l’idée contenue dans le mot va se noyer dans le son pour revivre ensuite d’une double vie. La musique ne saurait ni penser le monologue d’Hamlet ni réussir à rendre certains idiotismes, quoi qu’en dise Schumann, lorsqu’il prétend découvrir dans une sonate de Schubert l’état mélancolique d’un brave garçon incapable de payer la note de son tailleur. Mais donnez-lui à peindre des émotions et vous la verrez trouver des accens même pour l’inexprimable : ce silence par exemple, placé dans le duo de Fidelio au moment où les époux viennent de se reconnaître : « Toi ! » s’écrie Florestan. « Moi ! » répond Léonore, et tous les deux tombent muets dans les bras l’un de l’autre. Soyez Beethoven, soyez Shakspeare et quand l’accent ou le mot manquera, vous trouverez l’hiéroglyphe : cette pause dans le duo de Fidelio, et dans Othello, ce cri d’un désespoir sans bornes, contenu dans une réticence : « Quel dommage, Iago, quel dommage ! » Mais si la musique a ses infinis de pathétique, elle a également son pittoresque, et telle occasion peut s’offrir où sur ce terrain elle battra sa noble sœur la poésie. Je lis le Songe d’une nuit d’été et j’y vois que Puck franchit l’espace « comme le trait lancé par l’arc d’un Tartare. » Cherchez au

  1. Qui jamais, en effet, s’avisera de compter combien de fois un accord est répété, et comment, sans aller y voir sur la partition, remercier ces instrumens à vent d’avoir ce rare esprit d’être justement sept au lieu d’être huit ou de n’être que six ?