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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/470

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l’avoir livrée. C’est bien le moins que la Comédie-Française, à défaut d’autres théâtres, use du prestige et des libertés qu’elle a pour faire de telles expériences à la gloire des lettres. Nous remercions M. Perrin d’avoir monté Barberine.

Une bonne action rachète un péché, surtout un péché par omission ; je ne chicanerai pas M. Perrin sur ce qu’il a négligé de recevoir avec l’indulgence qui lui était due la comédie en trois actes et en vers de M. Emile Guiard, Mon Fils, représentée maintenant et applaudie à l’Odéon. Sera-t-il, ce succès, durable et fructueux ? Je l’ignore : Dieu est bien haut et le public est bien loin. Cependant M. Guiard, sans faire fi des recettes, est un homme de lettres et non un marchand de pièces : je gage qu’il a déjà pardonné à MM. les sociétaires. Sa pièce, en effet, est fort bien jouée à l’Odéon par Mlle Tessandier d’abord et par M. Chelles, par M. Porel ensuite, par M. François et par Mlle Malvau. M. Emile Guiard est le neveu d’Emile Augier ; il y paraît : l’ouvrage est solide et franc. Le sujet est de plus simples et les sentimens fort honnêtes. La pièce est nettement coupée ; comme on dit, elle tient les planches. Qu’un auteur de plus d’expérience l’eût développée davantage, M. Guiard, j’en suis sûr, en conviendra le premier : la dernière scène du deuxième acte, où se décident le sacrifice de la mère et le mariage du fils, est un peu écourtée ; au troisième, le drame tourne un peu brusquement, et l’auteur n’a pas pris soin de nous faire assez attendre cette justice distributive qui ne manque jamais aux récits de la Morale en actions. Mais je viens de lâcher un mot qui peut vous induire en erreur : n’allez pas croire au moins que les héros de M. Guiard soient empruntés au personnel de Bouilly ou de Berquin. Cette mère paysanne, furieuse d’ambition pour l’un de ses fils, dévouée à sa passion jusqu’au sacrifice de sa tendresse ; auprès d’elle, ce fils, mal parvenu et mécontent, faible et n’ayant de désirs que ceux que sa mère lui souffle, et cet autre, dont l’abnégation ne va pas sans révoltes, — ce trio fait honneur à la psychologie dramatique de l’auteur, comme deux personnages comiques, chargés de nous divertir dans les intermèdes, font honneur à son esprit. M. Guiard, décidément, est bien le neveu de son oncle. Mais où la parenté se reconnaît surtout, c’est à la qualité de la langue, saine, virile, honnête et de bonne bourgeoisie. Les beaux vers abondent dans chacun de ces trois actes ; non pas, vous m’entendez, des vers de poète lyrique et qui s’envolent vers les frises, mais des vers d’auteur dramatique, bien frappés et pleins de sens. Auprès de ceux-là sans doute, il s’en trouve de faibles et même de plats : c’est la rançon des autres dans une comédie moderne. Je reprocherai à M. Guiard quelques inversions qu’il aurait dû s’épargner ; mais il ne pouvait faire qu’une servante annonçât poétiquement des visites, ni qu’un facteur, même rural, distribuât de beaux vers avec le courrier. Nous