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connaissons de longue date ces inconvéniens du genre, et notre droit là-dessus va seulement jusqu’à dire à M. Guiard que si, d’une part, il est capable de composer de bons alexandrins, d’autre part, il nous semble assez fort pour se passer à l’occasion des avantages que donne cette forme, pour sacrifier ces avantages aux inconvéniens qui les suivent, et pour faire, quand il voudra, une belle comédie en prose.

Que si des gens malicieux prenaient cet avis à l’auteur pour une injure à son talent de poète, je les prierais de se rappeler que Musset, de qui nous parlions tout à l’heure, n’a écrit qu’une seule de ses comédies en vers, et la moins bonne assurément, et la moins poétique de toutes : j’ai nommé Louison. Pourquoi, sinon parce que l’emploi du vers dans la comédie, et surtout dans la comédie moderne, est un artifice de métier et peut-être un des pires ? Musset fut toujours ce Fantasio qui dit à son ami : « Remarques-tu une chose, Spark ? c’est que nous n’avons point d’état, nous n’exerçons aucune profession. » Comme son ami lui demande : « C’est là ce qui t’attriste ? » il répond simplement : « Il n’y a point de maître d’armes mélancolique. » Mais sa mélancolie lui est chère, et, si le métier doit l’en guérir, il ne veut pas la quitter à ce prix. Il s’écrie : « Quelle misérable chose que l’homme ! Être obligé de jouer du violon pendant dix ans pour devenir un musicien passable ! Apprendre pour être peintre, pour être palefrenier ! Apprendre pour faire une omelette ! » Et quand la princesse, à la fin, lui propose la place de bouffon : « J’aime, répond-il, ce métier plus que tout autre ; mais je ne puis faire aucun métier. » Musset garde cet avantage sur presque tous les écrivains de ce siècle, où la littérature est une industrie, quand elle n’est pas un sacerdoce, — et sur les dramaturges de tous les temps, car le théâtre en fut toujours une, — qu’étant doué de génie, il fut un amateur : son génie ne porte pas les marques ignobles du métier.

Auteur dramatique, Alfred de Musset l’était aussi bien que poète : d’une part, il a fait des vers ; de l’autre, des comédies en prose ; dans ses comédies comme dans ses vers, il n’a servi que sa fantaisie. Peut-être il vaudrait la peine de montrer qu’en ses libres allures il a touché aussi bien que d’autres, moins capricieux et moins légers, à la véritable comédie moderne, et qu’il n’a pas attendu pour cela qu’on lui donnât l’exemple. On surprendrait bien des gens, qui accordent que Lorenzaccio est un caractère shakspearien et On ne badine pas avec l’amour un charmant poème, si l’on venait leur prouver que le Chandelier est, en même temps qu’une délicieuse complainte, une comédie non moins pénétrante que d’autres plus pédantes et plus cruelles. On les surprendrait davantage encore si on leur rappelait tel détail comme la mention de certains gants « en daim, de couleur verdâtre, trop larges et décousus au pouce, » que Valentin, dans Il ne faut jurer