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eu déjà, l’an dernier, assez de peine à obtenir du parlement sa loi agraire, ce land-act qui passait aisément, il est vrai, à la chambre des communes, mais que les lords ne subissaient qu’avec difficulté, après une transaction laborieusement négociée. Elle a cependant fini par être votée, cette loi ; elle est appliquée depuis la session dernière, et, en même temps qu’une certaine répression a dû être déployée, on a vu fonctionner une institution imaginée par M. Gladstone, une sorte de tribunal d’exception chargé de fixer les baux, de prononcer sur les droits des propriétaires et des fermiers irlandais. Que cette loi, qui constitue l’intervention de l’autorité publique dans les affaires de propriété privée, ait le caractère le plus grave et ressemble à du socialisme d’état, c’est assez évident ; ce qu’elle produira en définitive pour la pacification de l’Irlande, c’est encore ce qu’il est difficile de savoir. Elle a été votée, elle existe, elle est appliquée tous les jours, et c’est justement à cette heure, en pleine expérience, que la chambre des lords a cru devoir décider récemment, sur la proposition d’un des chefs du torysme, lord Donoughmore, qu’une commission serait nommée pour faire une enquête sur l’exécution et les résultats de la loi nouvelle.

C’était un défi jeté au ministère, un désaveu rétrospectif de l’acte voté l’an dernier et, jusqu’à un certain point, un encouragement donné aux Irlandais, toujours disposés à la résistance, si ce n’est à l’insurrection. Le chef du cabinet ne s’y est pas trompé ; il a été surpris par le vote des lords au moment où il était occupé de préparer pour la chambre des communes un règlement nouveau combiné de façon à simplifier les procédures parlementaires et destiné sans doute à soulever de longues discussions, peut-être même à absorber la session tout entière. M. Gladstone n’a point hésité un instant ; il a laissé de côté son règlement et, toute affaire cessante, il a pris une résolution décisive à laquelle il a rallié tous ses amis du parti libéral. Il s’est décidé aussitôt à présenter aux communes une motion déclarant que toute enquête en ce moment serait nuisible à l’autorité de la loi, à la sécurité politique, aux intérêts de l’état, et cette motion, vainement combattue par les conservateurs, qui ont essayé de l’écarter par la question préalable, vient d’être adoptée à une immense majorité. Les lords, il est vrai, ont essayé dans l’intervalle d’atténuer la portée de leur vote primitif. La commission nommée par eux a déclaré qu’elle entendait limiter son enquête, qu’elle ne s’occuperait pas des décisions rendues par le tribunal arbitral, la land-court. M. Gladstone ne s’est pas tenu pour satisfait ; il a répondu que la commission n’avait pas le droit de modifier une décision de la chambre des lords, que l’assemblée tout entière pouvait seule interpréter ou préciser ce qu’elle avait voulu. Le secrétaire d’état pour l’Irlande, M. Forster, invité à se rendre devant la commission de la chambre haute, a refusé de comparaître ; de sorte qu’on se trouve provisoirement dans cette étrange situation