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la définition et les divers sens classés et appuyés, autant que faire se peut, d’exemples empruntés aux auteurs des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, des remarques, quand il y a lieu, sur l’orthographe, la signification, la construction grammaticale ; la discussion des synonymes dans certains cas ; l’historique, c’est-à-dire la collection des exemples depuis les temps les plus anciens de la langue jusqu’au XVIe siècle, enfin, l’étymologie. Chaque article devenait ainsi la monographie d’un mot, son histoire, son état civil tout entier dans le présent et dans le passé ; cela n’avait point encore été fait.

Le plan était excellent ; mais il ne se dessina pas du premier coup avec cette clarté aux yeux de l’auteur ; il ne se détermina ainsi qu’au prix de maint essai avorté et de maintes fausses routes. Cette indécision primitive fut la première difficulté sérieuse. « Celui qui considère mes quatre volumes, leurs milliers de pages et leurs trois colonnes estime certainement que beaucoup de temps a été employé à tout cela; mais ce dont il ne se doute pas, c’est combien de temps, dont il ne reste aucune trace, a été enfoui en recherches vaines et sans résultat, en retour sur les pas faits, en remaniemens et en reprises. » La seconde difficulté était de se borner dans le choix des exemples. « Avec les proportions où j’avais conçu mon Dictionnaire, je me serais perdu sans ressources dans le temps et dans l’espace, si je m’étais laissé aller, en chacun des compartimens qu’il embrassait, à la tentation d’y être complet. Il était urgent de se résigner à un sacrifice et de procéder au tout en se refusant à mettre la dernière main aux parties. Je n’ai point eu à me repentir de ma résolution. Le tout se fit, et c’était l’essentiel; car, en bien des cas, il est le juge suprême des parties. »

L’impression commença enfin sur l’ordre de l’éditeur, qui jugeait avec raison qu’elle ne commencerait jamais si l’on attendait que le travail fût achevé et que l’auteur en fût content. Mais alors que de nouvelles angoisses! En l’état où était le travail, le malheureux auteur se convainquit que la copie allait vite manquer, et que dès lors l’impression marcherait avec tant de lenteur que ni lui ni l’éditeur, qui n’étaient plus jeunes, n’en verraient la fin. La perte eût été grande pour tous deux, mais pour lui c’était de plus un désastre moral. Il tomba dans le découragement; ce fut tout un petit drame intérieur. Ou bien il fallait abandonner le Dictionnaire, ou bien il fallait en précipiter l’exécution en se contentant d’une œuvre hâtive, inachevée. « Il n’est rien de tel que d’être dans une mauvaise position pour avoir de mauvaises pensées. » Il essaya d’abord de se persuader que son Dictionnaire, même imparfait, l’emportait encore de beaucoup sur les œuvres de ce genre et que cela devait lui suffire. Il procédait par flatterie envers lui-même